Dans une société patriarcale, voire misogyne, comme la nôtre, faire part d'un tel vœu pourrait faire désordre. Cependant, l'idée ne manque ni d'argumentaire ni de charme, en tout cas. Eu égard à la prestation, pour le moins médiocre, de Moncef Marzouki, à la tête de l'Etat, n'importe qui est en mesure de faire nettement mieux et d'en valoriser la fonction, l'image et le mandat. La femme tunisienne est en mesure de s'en sortir avec brio. D'aucuns estiment que la population tunisienne est plutôt mûre pour accepter une femme au poste de président de la république. La femme tunisienne a fait ses preuves dans tous les domaines, sauf celui de la haute responsabilité politique, chasse gardée des mecs. Non qu'elle accuse une inaptitude ou quelque infirmité, mais tout simplement parce qu'une mentalité par trop sexiste continue de sévir, d'écarter et d'exclure la femme. Une simple lecture des têtes de liste, annoncée par les partis, dans la perspective des élections législatives, montre que la femme brille par son absence et reste le parent pauvre de l'environnement politique national. Tous les hommes politiques, à quelques exceptions près, s'égosillent, chaque jour, sur la parité, sur l'égalité et sur l'approche genre, mais quand il s'agit de dépasser les discours et les professions de foi, et de concrétiser ces bonnes intentions sur le terrain, rares sont ceux qui franchissent le Rubicon et joignent l'acte à la parole. L'écrasante majorité tient mordicus à ses privilèges d'hommes et continue de nourrir sa fibre machiste. En politique, entre les machos, les fachos et les faux intellos, peu de places et d'opportunités pour la gente féminine, la dimension genre, criée sur tous les toits médiatiques, et dont on ne cesse de faire un simple slogan de campagne et un décor de vitrine, n'est en fait qu'un cache-misère. Même les partis se réclamant de la culture moderniste et démocratique n'ont placé que rares femmes en tant que têtes de liste. En conséquence, le blocage est plus culturel que politique. Ce ne sont certainement pas les attributs de compétence, de mérite ou de profil qui desservent la femme tunisienne, mais un ordre social profondément hostile à la femme. Les francs tireurs, de tous bords, rivalisent de rafales contre la femme tunisienne et ses aspirations légitimes et bien fondées, en tentant de dresser des sentinelles et autres remparts dans la sphère politique, sociale et culturelle pour lui couper la route et à la renvoyer à ses chères études. Depuis plus d'un demi-siècle, la femme tunisienne ne cesse d'immuniser la société tunisienne contre toute dérive rétrograde, d'être une force de frappe et de progrès et un élément d'équilibre social. Première rempart de défense, la femme tunisienne, digne et fière, était dans toutes les batailles. Elle a marqué de son empreinte la révolution tunisienne et même en ce moment de transition démocratique, elle ne baisse pas la garde, toujours vigilante et virulente, non seulement pour défendre ses droits politiques, économiques et sociaux mais notamment pour valoriser et consolider les acquis modernes, séculiers et égalitaires de la société tunisienne. Altérer, voire mépriser aujourd'hui l'œuvre d'émancipation, lancée depuis Bourguiba, est une manière, quoique cocasse et non moins inique, de mépriser cette femme tunisienne militante et orgueilleuse. Il n'est pas question de se rabattre sur la notion de discrimination positive, notion aux relents sexistes en soi, mais de faire face au déferlement masculin, un combat à mener en premier lieu par les femmes pour arracher leur droit de briguer des postes de haute responsabilité politique. Fuir cette bataille c'est donner raison aux invectives, aux clichés et autres poncifs les plus éculés. La femme doit aussi se prendre en charge, faire preuve d'audace, braver les tabous, élever la voix, s'assumer dans l'échiquier politique et grignoter des positions. Il est à constater que sur la quarantaine de candidats annoncés (un nombre aussi faramineux que grotesque, démontrant encore une fois, si besoin est, l'obsession des chaises dévorant la classe politique tunisienne), qui se bousculent aux portillons de Carthage, seules quatre femmes ont fait part de leurs intentions de briguer le poste, soit 10% des postulants. Un taux très significatif, à divers titres, notamment de la frilosité de la femme tunisienne et de la culture machiste ambiante. En conclusion, plaider pour l'élection d'une femme au poste de chef d'Etat n'est ni une vue de l'esprit ni un vœu pieux. D'autres peuples où les conditions de la femme sont autrement plus contraignantes que celles de la Tunisie, ont franchi le pas depuis belle lurette. Il n'y a aucune raison que la femme tunisienne, riche d'un capital d'émancipation bien plus solide et forte de ses propres acquis et ses propres batailles sociales gagnées haut la main, soit indigne de trôner à Carthage. Aujourd'hui, plus que jamais, la femme tunisienne est en mesure d'honorer le poste et de lui donner son lustre et son prestige. A cet effet, elle est capable de se surpasser et de supplanter l'homme à plates coutures.