Qui va juger Saïf Al Islam Kadhafi et Abdallah Al Senoussi ? La Cour pénale internationale de La Haye (CPI) ou la Justice libyenne, qui le réclament toutes deux ? Après l'arrestation, dans la nuit de samedi 19 novembre, de l'ex-dauphin du Guide de la révolution, et celle, dimanche, de l'ex-chef des renseignements libyens, Abdallah Al Senoussi, les Libyens espèrent faire, à travers eux, le procès de 42 ans de dictature. Une perspective plus complexe qu'il n'y paraît. Il faudrait d'abord que Saïf Al Islam soit détenu par les autorités légales. Dimanche, il était toujours incarcéré dans une villa de Zenten, à l'ouest, la ville portant le nom de la tribu qui l'a capturé, et qui faisait monter les enchères. «Nous le livrerons seulement quand le Gouvernement aura établi un système judiciaire fort», a déclaré un membre du comité politique des Zenten, Moussa Grife. Le cas d'Abdallah Al Senoussi est encore plus embrouillé. Lui aussi inculpé par la CPI, il a été en outre condamné par contumace en juin 1999, par la Cour d'assises spéciale de Paris, à la perpétuité pour l'attentat contre un DC-10 d'UTA, qui fit 170 morts en septembre 1988. La France doit logiquement demander son extradition afin de le rejuger à Paris. Le «système judiciaire fort» exigé par la tribu Zenten reste encore à construire. Selon les textes, la CPI doit en principe laisser la préséance aux juridictions locales. Sauf si elle estime qu'elles n'en ont pas les moyens. C'est aussi l'opinion des ONG. «D'habitude, nous encourageons les jugements par les justices nationales, confie Florent Geel, responsable Afrique de la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH). Mais nous pensons que Seïf al-Islam doit être déféré devant la CPI. L'état du système judiciaire libyen pose trop de questions. Quelles seront les garanties de son impartialité ? De la régularité des débats ? Quels seront les droits de la défense ?» Le risque, selon Florent Geel, est celui d'une «justice de vengeance». Me Emmanuel Altit, spécialiste des juridictions pénales internationales, renchérit : «Plusieurs responsables libyens actuels l'étaient aussi sous Kadhafi. Ils n'ont pas intérêt à un procès équitable.» Le président du Conseil national de transition lui-même, Moustapha Abdeljalil, ancien ministre de la Justice de Kadhafi, semble mal placé pour offrir une justice sereine. En tant que président de la cour d'appel, il avait par deux fois confirmé la peine de mort des infirmières bulgares et du médecin palestinien, torturés et faussement accusés d'avoir inoculé volontairement le virus du sida à des enfants libyens.