TUNIS, 1er fév 2011 (TAP) - Au lendemain du 14 janvier 2011, le compte à rebours est à zéro. Le centre ville de Tunis, comme partout dans tout le pays, se réveille avec un nouveau visage qui se dessine, petit à petit, par les prémices d'une autre page de l'histoire contemporaine du pays et les signes d'une culture urbaine "consciente". Sur les murs, des graffitis inspirés par ceux qui nous ont gouvernés, mettent à nu un régime et des personnages, les tournant en dérision surtout pour faire réagir et réfléchir. Plus élaborées, plus ciblées, des pétitions sectorielles attirent le regard. Les signataires de l'une d'entre elles réclament "la libération de l'importation des livres après la libération de la presse". Il s'agit bien d'un appel à livrer des livres au grand jour. Depuis le 22 janvier, l'importation notamment de livres, jadis prohibés, n'est plus soumise à une autorisation préalable pour entrer sur le territoire tunisien. Ce qu'en pensent les lecteurs: les librairies font peau neuve Une visite s'impose du côté des librairies. Au centre ville de Tunis, en face d'un grand centre commercial, une foule est rassemblée. En s'approchant des passants curieux, avertis ou non, hommes et femmes de tous âges et de toutes catégories dévorent des yeux les vitrines de la librairie ''El Kitab. "La régente de Carthage" ou "la force de l'obéissance" sont des exemples parmi d'autres qui y sont exposés, pour la première fois. Un étudiant se prononce "Le pays change, les librairies font peau neuve, c'est formidable". Un autre confirme, à haute voix et sur un ton enthousiaste : "fini le temps des murmures et de la peur, ce n'est plus la peine de passer par des proxy ou même Google pour accéder à un livre qui fut, pendant longtemps interdit". Interdit d'importer, interdit de voir, interdit de lire parce que tout simplement il égratignait et bousculait des hommes et des régimes fous de pouvoir. Avec beaucoup d'humour, un autre quidam qui s'est présenté comme un fou d'Internet précise "Aujourd'hui, le fait de voir et de feuilleter les originaux est plus fort que ce que nous offrait -en cachette- la bibliothèque numérique". Un autre son de cloche : "Il ne suffit pas de donner accès aux livres à vocation politique seulement. Tous les styles et tous les auteurs de la production de la pensée humaine, devraient être disponibles", indique une étudiante en littérature. "Mais aussi, insiste-t-elle, il est impératif de réfléchir pour rendre accessible ces imprimés à tout citoyen, je veux dire en terme de prix". Pour d'autres, l'espoir est de voir la prochaine édition de la foire internationale du livre de Tunis "faire son aura en offrant en cette année un vrai bouillonnement de culture et en étant une caisse de résonance de la révolution tunisienne" souligne une chercheuse. Témoignages de libraires: on a récupéré notre droit ''On a récupéré notre droit et le droit du public tunisien'', déclare M. Kamel Hmaidi, responsable des ventes à Dar Al Kitab, se rappelant amèrement ce qu'il qualifie ''de persécution morale et financière subie par les librairies pendant deux décennies''. En effet, explique-t-il, ''la majorité de mes livres censurés traitent de politique et de religion'' alors "qu'aucun cadre conventionnel n'a été défini pour la censure ou l'octroi d'une autorisation''. Aujourd'hui, rétorque-t-il, "la présence dans cet espace de livres tels que ''la force de l'obéissance'', ''Notre ami Ben Ali'' ou ''l'idéologie de l'islam politique et communiste'' et ''les nouveaux penseurs de l'islam'' est de nature à booster les ventes et attirer les lecteurs surtout tunisiens". Pour Narjess Toukabri, assistance commerciale à la librairie "Clairefontaine" (qui accueille chaque jour une clientèle variée à la recherche de livres académiques et littéraires), "l'interdiction des livres est l'un des facteurs ayant entraîné la fermeture de plusieurs librairies ces dernières années". Selon elle, ''la censure des livres est une oppression culturelle contre le droit de l'esprit au savoir, à l'enseignement et à la connaissance''. Chaque année, Clairefontaine, ajoute-t-elle, se trouve incapable de fournir aux étudiants et aux chercheurs même les livres scientifiques utiles pour leurs travaux d'études ou leurs recherches. Préoccupé par la baisse des ventes, M. Mohamed Debouz, gérant de la librairie "Le Gai Savoir" considère, quant à lui, que ''la suppression de l'autorisation d'importation de livres constitue une décision importante mais il faudrait plus de mesures dans ce sens'', faisant remarquer que "l'Etat devrait à travers la subvention pour le livre tunisien, y être impliqué de façon plus avantageuse''. Pour lui, les éditeurs tunisiens, maillon essentiel de la chaîne, doivent être plus présents dans les foires du livre aussi bien au niveau national qu'international de manière à faire connaître davantage le livre et les auteurs tunisiens. Evoquant les procédures douanières, l'idéal serait, selon ses propos "Que l'on arrive à se passer des formalités traditionnelles comme le "dossier d'importation", par le simple recours à une commande, directement par Internet. C'est un gain à plus d'un titre", lance-t-il sur un air optimiste.