Nidaa Tounès, le parti de la majorité, serait-il dans la tourmente ou dans une ébullition créatrice qui consoliderait ses assises en vue d'une meilleure visibilité pour l'avenir ? Voilà bien une question d'actualité au vu de tout ce qui se passe dans ce parti et de tout ce qui s'énonce et s'annonce pour mieux chauffer la danse. Il faut dire que la crise, parce que crise il y a et de toute évidence, a pris de l'ampleur à la suite de la constitution du gouvernement, même si quelques frictions et certains sentiments avaient déjà émergé au moment de la constitution des listes électorales pour les élections législatives de 2014. Puis, le 22 mars 2015, une sorte de compromis sur la refonte du bureau politique, présenté comme un consensus, a cherché à rassurer les militants du parti et peut-être aussi les Tunisiens qui voyaient leur avenir dépendant d'une troupe en dispute sur autre chose que leur intérêt. On a donc pu entendre les deux chefs de file du conflit, Monsen Marzouk et Hafedh Caïed Essebsi, déclarer que la page des dissensions était tournée : « tout le monde il est beau ; tout le monde il est gentil », et on avance ! Mais un consensus de fortune, non fondé sur des visions concertées, sur un programme entendu et sur un état d'esprit partagé, ne pouvait assurer un long voyage et la tempête a commencé à chauffer ses moteurs, après le 13 mai 2015, date de l'élection de Mohsen Marzouk au Secrétariat général du parti, avec une répartition des autres tâches d'une façon un peu trop à la logique de « Epargne ton frère ! », en sous-entendant « ton frère-ennemi ». Après, chaque clan conduisant sa stratégie, à coup de disputes sur les plateaux médiatiques et de réunions dispatchées dans le pays, un clan autour de Mohsen Marzouk, l'autre autour de Hafedh Caïed Essebsi, il devenait encore plus évident que chacun avait en point de mire le Congrès fondateur du parti, tantôt recommandé pour la fin décembre 2015, tantôt annoncé pour des dates précises du même mois : les 19 et 20 ? Le 22 ? Il reste que l'explication de la crise du Nidaa par la nature contradictoire des constituants idéologiques du parti peut paraître rapide et superficielle. En effet, les uns parlent de trois clans dans le parti en les personnalisant (Marzouk, Essebsi, Karoui), les autres de quatre en les caractérisant politiquement (la Gauche, les Syndicalistes, les Destouriens et les Indépendants). Nous pensons qu'il n'y a, vraiment et politiquement parlant, que deux ailes représentées par M. Marzouk et H. Caïed Essebsi (Nabil Karoui reste beaucoup plus un oiseau fragile cherchant la branche la plus disposée à lui donner l'occasion de chanter). Or ces deux ailes, qui nous paraissent avoir toutes les conditions de convergence de leurs visions et de leurs efforts, sont affectées par la personnalisation qui les mutile en les délestant petit à petit de l'essentiel de leur plumage et de leurs moyens de voler. Pendant que d'autres formations politiques marchent derrière en ramassant les plumes en volage pour les recycler et les employer à renforcer leurs moyens propres de voler. De fait, les deux ailes de Nidaa Tounes, aujourd'hui antagoniques, serait celles de la Gauche modérée et du Réformisme néo-destourien. Or, comme nous l'avions souligné précédemment sur nos pages, ces deux tendances sont logiquement de la même famille et ce ne sont que certaines conjonctures et un égotisme dérationalisé qui font obstruction à leur alliance, voire à leur fusion. Néanmoins, quand la politique trop politicienne s'en mêle, tout peut dérailler, jusqu'à la dérive et même à la noyade. Cependant, des questions restent en suspens, et l'intelligence des effets et des causes de la crise du Nidaa pourrait en dépendre : 1 – Que cherchait Béji Caïed Essebsi en propulsant spectaculairement Mohsen Marzouk, presque contre toute démocratie, non seulement à l'avant-scène du parti, mais à celle du pays aussi, poussant ainsi les spéculations jusqu'à l'idée d'une succession anticipée ? 2 – Personne ne peut croire que le président de la République, ancien président du Nidaa, n'était pas sensible à la rivalité quasi-viscérale entre son protégé ( ?) et son fils légitime. Pourquoi donc avoir donné au parti les conditions de « volcanisation » de son paysage au lieu de contenir ses tensions et canaliser ses énergies par le poids qui est le sien et les moyens d'influence dont il dispose auprès de l'un et de l'autre (chefs de) clans ? 3 – Que pense-t-il des interprétations qui prennent de plus en plus d'ampleur et de vrédit, pour certains, sur sa soumission à un harcèlement familial qui ne serait pas sans nous rappeler le mythe de l'éternel retour et la maxime khaldounienne du retour historique du même ou du semblable. Ainsi, entre l'enclume et le marteau, il en serait à ne plus réussir une démarche de réconciliation, à la manière de celle du 14 octobre dernier. A moins que, rusé comme il peut toujours l'être, ce ne soit là sa vraie stratégie savamment tressée pour des objectifs bien élaborés que l'avenir seul pourra dévoiler dans toute leur vérité !