Depuis la prise en main des rênes du pouvoir par l'équipe issue des élections de la fin de 2014, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) constitue sans doute l'un des dossiers les plus épineux et les plus truffés de pièges. L'ambiance ne s'est alors presque pas détendue, à son propos, tellement les enjeux sont de taille. Le corps professionnel soutient que l'avenir de la démocratie dépend de l'issue de sa bataille pour l'indépendance de la justice, ce qui n'est pas faux dans l'absolu. De son côté le pouvoir semble convoiter au moins un droit de regard sur le secteur, par certaines prérogatives du ministère de la justice, (faute d'un franc pouvoir d'ingérence ?), mais il ne le dit pas clairement et ne semble pas chercher à s'en expliquer en ces termes. On le sait, le premier projet de loi relatif au CSM a été préparé du temps du gouvernement Jomaa. Il a été remanié par le gouvernement Essid ; mais la procédure a été considérée comme « illégitime » et tendancieuse, d'après l'Observatoire tunisien de l'indépendance de la magistrature, engendrant une grève ouverte des juges et des huissiers, le 12 mars 2015, à l'appel de l'Association des magistrats tunisiens (AMT) et du Syndicat des magistrats tunisiens (SMT). Les huissiers récidivent avec une grève de 5 jours, à partir du 15 avril, pour protester encore contre leur exclusion de la composition du conseil, contrairement aux standards internationaux. Finalement, le 15 mai 2015, l'Assemblée des représentants du peuple, appelée à se prononcer sur ce projet de loi organique portant sur le CSM, a adopté le texte, intégralement, à 131 voix pour, 14 contre et 8 abstentions. Cela a attisé encore la colère des magistrats qui ont observé une grève de protestation et, dernier recours peut-être, c'est le président de la République qui est mis devant ses responsabilités de garant du respect de la Constitution et sommé de ne pas signer la promulgation de cette loi. Cependant, le 22 mai, trente députés (le minimum exigé, au départ ils étaient 28) déposent un recours auprès de l'Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des projets de loi, contestant ainsi ce projet de loi, du fait de sa non-conformité à la constitution. Le projet est donc renvoyé devant la commission de la législation générale ; il est amendé et déposé au secrétariat de l'ARP en vue de sa discussion en assemblée générale à la rentrée parlementaire fixée au 26 août. Mais le mécontentement n'a pas encore été dissipé et l'affaire est restée ouverte. Pourtant, il y avait (il y a encore plus aujourd'hui) vraiment urgence en raison de la dépendance étroite entre l'adoption définitive de ce projet de loi sur le CSM et la création de la cour constitutionnelle qui, conformément à la Constitution, devrait être impérativement installée, au plus tard (et c'est, semble-t-il une autre question d'interprétation !) vers le 20 novembre 2015. Aujourd'hui, la cour constitutionnelle paraît sur la bonne voie, en tout cas en situation moins problématique que le CSM. En effet, ce dernier pose problème de nouveau et l'Association des magistrats tunisiens (AMT) se mobilise pour relancer le débat, car considérant que l'approbation, par le gouvernement, du projet de loi portant création du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), modifié par la commission de la législation générale, n'a aucun fondement juridique ni constitutionnel. Curieux paradoxe que l'ancien projet du gouvernement, farouchement contesté, devienne plus constitutionnel et est préféré à celui de la commission de la législation générale de l'ARP. Mais ce qui semble au centre du conflit, c'est la question de la tutelle opposée à celle de l'indépendance de la justice. D'aucuns considèrent même que cette question est peut-être la principale raison du limogeage du ministre de la Justice Mohamed Salah Ben Issa. L'on se demande alors s'il n'y a pas lieu d'aller vers un consensus, ou au moins un accord provisoire, dans le respect de la constitution. Toutefois, le problème résiderait dans l'interprétation même de certains articles de la constitution. C'est à conclure si, en Tunisie, notre lot est de toujours avoir des problèmes d'interprétation et d'application de la Constitution. Le commun du peuple dirait : pourquoi une constitution si, au lieu d'organiser la vie en société, elle ne fait que compliquer les rapports entre les instances qui la gèrent.