La compassion solidaire brandie, comme un cri de guerre, contre la terreur inhumaine, qui a frappé la capitale française vendredi 13 novembre 2015, a suscité des réactions inexplicables et franchement inopportunes, nous rappelant certains comportements atteints de strabismes idéologiques, tant au plan national qu'international. En effet, que signifie qu'en pleine tragédie, au milieu d'un spectacle de sangs et larmes mêlés, on se mette à protester contre cette compassion qu'on jugeait plus ample et plus soulignée que celle témoignée à l'égard du jeune berger, égorgé aussi monstrueusement au Mont de Mghila? Ne devait-on pas manifester la révolte et l'indignation qui se devaient, en y associant toutes les victimes de la violence absurde, partout où elles peuvent être dans le monde ? On peut reprocher à un pays sa politique, on peut en vouloir à des responsables pour ce qu'on considère comme une mauvaise appréciation des situations conflictuelles, amenant des décisions et des prises de positions qui pourraient paraître condamnables ; mais la mort absurde reste toujours une atteinte à l'humanité de l'homme et aux valeurs qui en font un être supérieur dans l'ensemble de la création. Cette supériorité, quand elle se confirme, est la preuve, qu'en lui, l'intelligence, la rationalité et la relativisation des vérités se sont frayé un chemin dans son être profond pour contenir les débordements des passions, les folies meurtrières, et les instincts de vengeance et d'exclusion, par égoïsme ou par fanatisme. Si l'on est du côté de la religion, a-t-on oublié que dans la nôtre le prophète avait dit : « Tuer une personne sans raison juste équivaut à tuer l'humanité entière » ? Comme en réponse à l'un des dix commandements : « Tu ne tueras point ! ». Remarquons que le prophète n'a pas spécifié l'appartenance, religieuse, ethnique ou autre de la personne tuée, il a juste dit « une personne » (nafsan), signifiant que le crime est condamnable en tant que tel, dans l'absolu, avant toute autre considération. Nous savons aussi comment la morale et la philosophie, la sagesse populaire aussi, condamnent le crime qui reste, dans leur perspective, une honte pour l'humanité et la manifestation de son ignorance. « Un crime est, avant tout, un manque de raisonnement » ; il ne fait que ramener l'homme à l'état sauvage, pas seulement l'état d'animalité, mais celui de la monstruosité. Pour le cas d'espèce, il conviendrait de se convaincre que la lutte contre le terrorisme est d'abord une lutte éthique, constituant le pilier de base de la lutte pratique, et que ces luttes ne sauraient se départir du regard critique, permettant de corriger les démarches et de rectifier les cheminements. Cependant, la critique ne doit pas prendre l'aspect de vengeance ou de revanche ; elle doit s'inscrire dans une logique d'autocritique aussi pour retrouver son rôle dans la base éthique de cette lutte existentielle contre cette violence de plus en plus mondialisée, de plus en plus affolée, au point qu'elle semble finir sur un seul mot d'ordre : « Faire le plus de victimes dans les civils et le commun des gens, autrement dit, tuer les innocents ! ». Aux yeux de ces agents du crime gratuit, le fait même d'exister sur cette terre semble valoir pour eux une preuve de culpabilité et une raison de mort ! Telle est aujourd'hui, semble-t-il, la raison du terrorisme, qui est le contraire de la raison, qui est donc une absurdité. C'est pourquoi notre raison humaine doit être solidaire pour éradiquer cette honte à notre condition et cette insulte à notre intelligence. Dès lors, toute victime du terrorisme doit être ressentie comme notre propre mort, et ceux qui ont pu passer à Paris ou qui y vivent savent combien la mort qui y a frappé aurait pu les toucher, dans un autre hasard. C'est pourquoi la réaction a été plus émotionnelle, le nombre de morts aidant ; mais cette même solidarité et cette même compassion couvrent tout autant les victimes de Beyrouth et notre jeune berger, ainsi que tous ceux qui sont morts par le terrorisme, et ceux qui malheureusement en mourront encore, au vu des menaces réitérées par les agents de l'horreur qui s'en réclament.