L'évènement dans la filière des viandes rouges est créé, depuis quelque temps, par le retour en force, sur le marché, de la société Ellouhoum. Au bord de la faillite, il y a une année et demi, en raison d'impayés de clients de plus de 10 milliards de dinars, la société a décidé, pour se redresser, de s'imposer sur le marché et d'ouvrir des points de vente au grand bonheur des petites bourses. Et comment? Le kilogramme de viande bovine, bien présenté et bien coupé, se vend dans les points de vente d'Ellouhoum à 12-13 dinars contre 15 -16 dinars, chez les bouchers particuliers et 18 dinars dans les hypermarchés. A travers l'ouverture de ces points de vente et la reprise d'autres, la société Ellouhoum entend, en toute logique économique, diversifier ses activités axées jusque-là sur l'abattage, l'importation de la viande congelée, l'achat des taurillons et moutons et leur engraissement jusqu'à ce qu'ils atteignent le poids requis pour l'abattage. De ce fait, on imagine que ce retour en force sur le marché de la Société Ellouhoum n'a pas été du goût ni des bouchers particuliers ni des grandes surfaces. Encadrés par leur syndicat, les bouchers avaient réagi et organisé, en 2011, un sit-in devant le ministère du Commerce et, à la manière des manifestations agricoles «show» en Europe, ils avaient même égorgé un mouton devant ce département ministériel. Les protestataires voient dans ce repositionnement sur le marché d'Ellouhoum une concurrence déloyale. Pour eux, Ellouhoum casse les prix parce qu'elle est subventionnée par l'Etat. Mais certains affirment que ce n'est pas leur cas. Interpellé sur cette question, Ali Gharbi, le PDG d'Ellouhoum, a constamment estimé que «la société fixe ses prix en fonction de deux facteurs: l'évolution du marché et celle du pouvoir d'achat du citoyen». Au plan officiel, l'ouverture de ces points de vente n'est qu'un début pour restructurer, sur des bases solides et pérennes, la filière. Le but est d'en faire une branche aussi intégrée que la filière laitière. L'accent sera mis, pour l'essentiel, sur la moralisation de la filière (lutte contre les ententes de bouchers), la création de valeur locale en évitant au maximum le recours à l'importation de la viande congelée, la mise à niveau de l'infrastructure, l'aménagement d'un atelier de découpe et la mise en place d'un processus de qualité devant aboutir à la conformité aux standards internationaux. L'objectif est d'atteindre des niveaux de savoir-faire et de qualité internationaux qui permettront à la filière de gagner en crédibilité (hygiène, sécurité alimentaire ) et d'accéder à des ressources financières propres à booster ses investissements et à aider la Tunisie à devenir, à moyen terme, un pays exportateur de viande rouge. Il s'agit en fait de la restitution d'un statut qu'occupaient des éleveurs tunisiens durant l'occupation coloniale. En effet, des éleveurs du Kef remportaient des marchés publics français pour approvisionner Marseille et autres villes françaises. L'octroi de ces marchés était mentionné dans le JORT français. Autre nouveauté du business plan: Ellouhoum se propose de devenir franchiseur local et d'implanter des magasins portant le logo commercial de la société dans tout le territoire national. Le but étant de réguler la production nationale en important des agneaux, de les vendre aux éleveurs à des conditions avantageuses, d'améliorer l'offre, de conférer une valeur ajoutée à la production et de rationaliser les prix qui connaissent, ces temps-ci, une flambée sans précédent. A retenir que le Tunisien consomme en moyenne 8 kilos de viande rouge par an contre 9 kilos de poisson. Les viandes rouges, qui représentent 47% de la production globale de viandes du pays contre 53% pour les viandes blanches, contribuent à hauteur de 38% dans la valeur ajoutée de l'élevage lequel contribue à son tour au taux de 38% dans la valeur ajoutée du secteur agricole. La Tunisie produit annuellement 120.000 tonnes de viandes dont 110.000 de viande bovine et consomme 125.000 tonnes dont seules 3.000 tonnes sont consommées par des touristes.