Entre l'appareil judiciaire et les journalistes, c'est la guerre ouverte. Zied El Héni, journaliste, syndicaliste et militant depuis l'époque de Ben Ali, vient d'être arrêté suite à une plainte d'un procureur dont il a critiqué le travail dans une autre affaire de détention de journaliste, en l'occurrence celle de Mourad Meherzi, cameramen qui a filmé l'incident où le ministre de la Culture a subi des jets d'uf! La décision de détention et les fondements juridiques de l'affaire sont fortement contestés par les avocats, et la manière dont Zied El Héni a été envoyé à la prison de Mornaguia ont cristallisé toute la colère des journalistes suit à quoi, le syndicat des journalistes a appelé à une grève générale mardi 17 septembre. Entre temps et au courant de cette mémorable journée du vendredi 13 septembre, Zouheir El Jiss, chroniqueur à Express FM, a été convoqué chez le juge d'instruction suite à une plainte de la présidence de la République pour les propos tenus par un de ses invités. Tahar Ben Hassine, directeur de la chaîne de télévision El Hiwar est sous le coup d'une autre plainte. Les affaires impliquant des journalistes et des intellectuels sur fond de liberté de la presse et d'opinion sont légions et dénotent en particulier le climat de suspicion où se trouvent être les médias en Tunisie dans leurs relations avec le pouvoir de la Troïka et certaines franges de la société. Nul ne peut, d'autre part, nier qu'un certain climat de laisser aller s'est graduellement mis en place dans le paysage médiatique, épaulé par les facilités qu'offrent les réseaux sociaux entraînant une cascade de fausses informations, de rumeurs, d'insultes et divers autres délits véhiculés par divers sites Internet, pages Facebook et même par certains médias traditionnels en papiers ou audiovisuels. Le volume de mensonges et de fausses nouvelles est quotidien, au point que le ministère de l'Intérieur, par exemple, est submergé et obligé de consacrer un temps précieux pour dissiper cette «fumée» grotesque qui est en passe de décrédibiliser les médias dans leur ensemble. Après plus de 50 ans de chape de plomb, notre paysage médiatique n'est pas encore apte à s'autoréguler comme il se doit, et des parties influentes de ce paysage, qui était en pleine collaboration avec le régime de Ben Ali, détient encore des pans entiers du pouvoir médiatique. Des pratiques contraires à la déontologie, des usurpations d'identité, de la maltraitance manifeste des journalistes, des pratiques de fraude généralisée avec le fisc et la CNSS sont monnaie courante dans le milieu. Des voix courageuses commencent à hisser le ton et s'en prendre à ceux qui se sont enrichis hier par leur basse besogne et qui veulent perpétuer les pratiques douteuses d'Abdelwahab Abdallah avec les nouveaux tenants du pouvoir, majorité et opposition confondues. Une frange non négligeable de journalistes, ou de ceux qui se présentent comme tel, est grisée par les lumières des projecteurs et les éclats des plateaux pour s'autoglorifier en négligeant les situations accablantes dans certains médias, les salaires de misère des journalistes surtout des jeunes, le manque d'organisation et de rigueur déontologique et les pratiques de copinage et autres magouilles qui pullulent et infectent tout le paysage. La HAICA, récemment formée, qui manque des moyens légaux d'agir et de consensus qui pourrait renforcer ses interventions, est à la traîne et les syndicats, eux-mêmes, jeunes et vieux, se chamaillent sur des improbables batailles verbales. Les journalistes sont l'acteur d'un duo joué également par les politiciens, et notre classe politique démontre, jour après jour, une lamentable tendance à la médiocrité qui fait monter les exaspérations, fait perpétuer la violence verbale et la tendance vers un discours d'exclusion exacerbé de toutes les parties. Le journaliste véhicule cette tendance et l'amplifie par la situation qu'il vit lui-même. Ces derniers temps, l'exacerbation a touché les relations entre les juges et la police. Des syndicalistes de la police s'en prennent aux juges et les accusent, et ce dans des conférences de presse publiques rapportées par des journalistes. Les syndicalistes sont en détention et les journalistes les suivent ou le suivront bientôt, ce qui pousse le procureur de la République à se tourner vers l'arsenal pénal hérité de Ben Ali pour serrer les vis. Ironie du sort! A l'époque de Ben Ali, Tahar Ben Hassine était pourchassé par la police, Zied el Héni était interdit d'écriture et filé par la police politique.