Comme à l'accoutumée, le président de la République Kaïs Saïed a choisi une heure tardive d'une nuit de samedi à dimanche, pour annoncer un remaniement ministériel. Il a démis de leurs fonctions le ministre de l'Intérieur Kamel Feki et le ministre des Affaires sociales Malek Zahi pour les remplacer immédiatement par, respectivement, Khaled Nouri et Kamel Maddouri. Dans la foulée, il a ressuscité le secrétariat d'Etat à la sécurité et nommé à sa tête Sofien Ben Sadok. Fidèles à leur habitude aussi, les services de la présidence de la République n'ont pas daigné donner les raisons de ce limogeage ou expliquer les mobiles de la restructuration d'un ministère régalien. Considérés par le pouvoir juilletiste de simples sujets et non des citoyens à part entière de la République, les Tunisiens n'avaient pas à savoir à quelle sauce ils vont être mangés. Face à ce comportement primaire de verrouillage et de rétention de l'information, il serait insensé et improductif de jouer à la diseuse de bonne aventure et de faire semblant d'expliquer ce qu'on ne sait pas. Ce que l'on sait par contre, c'est que le président de la République se défait de ses amis avec une facilité déconcertante. Avant Feki et Zahi, Nadia Akecha, Ridha Charfeddine et tant d'autres supposés proches du président ont connu le même sort. Ce que l'on sait aussi, c'est que depuis quelques temps, Zahi et Feki étaient dans le collimateur du président de la République. Pour le désormais ex-ministre des Affaires sociales, sa dernière entrevue la semaine dernière avec son ami et président ne semble pas avoir réussi à dissiper les malentendus entre eux. Pour son ex-collègue de l'Intérieur, il était déjà écarté depuis de longues semaines des rencontres du président de la République avec les hauts responsables sécuritaires au sein de son propre département. Gageons aussi que la réussite éclatante de la manifestation organisée la veille par des groupes de jeunes tunisiens et les slogans clairs, directs et sans fard scandés à l'occasion n'étaient pas pour plaire au président de la République et ont accéléré la chute de l'ex-ministre de l'Intérieur. En effet, cette manifestation a réussi à rassembler une foule importante de jeunes, mais aussi de moins jeunes venus les soutenir et saluer leur bravoure. A ce niveau, ils ont réussi là où les fans du régime ont lamentablement échoué une semaine plus tôt, malgré les moyens colossaux mis à leur disposition. Sur un plan qualitatif aussi, aucune comparaison n'est possible entre les deux manifestations. La manifestation des fans du régime, avec son « tabbel et zakkar » sentait à plein nez les rencontres « novembristes » où tout sonnait faux. Celle des jeunes par contre, dégageait une fraicheur, un engagement et une détermination avec beaucoup de lucidité et de courage. Ses slogans, reprenaient ceux de la révolution avec lesquels ils ont grandi et auxquels ils n'ont jamais cessé de croire. « Emplois, Liberté, Dignité » criaient-ils à pleins poumons, comme pour rappeler à leurs ainés leur manque de persévérance et leur défaillance pour beaucoup, leur trahison pour certains. C'est sans distinction donc, et sans se prendre trop la tête, qu'ils refusent en bloc tous les acteurs du système, anciens et nouveaux, et mettent dos à dos les destouriens, les islamistes mais aussi le système juillestiste mis en place par Kaïs Saïed avec lequel ils ont pourtant fait un bout de chemin. Aux yeux de ces jeunes, le président de la République n'est plus que le représentant d'un système autoritaire et liberticide qui met ses adversaires et ses opposants en prison en s'adossant sur une police répressive et une justice inféodée. C'est pourquoi pour Kaïs Saïed, la plus grande perte, c'est la perte du soutien de ces jeunes qui étaient ses alliés. Sa plus grande défaite, c'est le « dégage » qui lui a été destiné et scandé par ces jeunes insensibles à sa rhétorique à l'alambiqué sur la liberté de pensée et la liberté d'expression.