On ne peut s'empêcher d'être fiers en ce matin du 31 décembre 2014. La passation pacifique du pouvoir entre Moncef Marzouki et Béji Caïd Essebsi est un moment mémorable dans l'Histoire de la Tunisie et de tout le monde arabe. Un président est parti pour laisser la place à un autre de manière civilisée et cordiale. Béji Caïd Essebsi a salué Moncef Marzouki et l'a ensuite accompagné jusqu'à la porte où ce dernier a quitté le palais de Carthage. Ce n'est pas le moment de revenir sur le bilan de Moncef Marzouki ni sur tout ce qu'on est en droit d'exiger de la part de Béji Caïd Essebsi. C'est le moment de savourer cet instant charnière dans l'Histoire moderne de la Tunisie. Nombreux ont été celles et ceux qui n'ont pu s'empêcher de verser une larme devant leurs télévisions. Non pas parce que leur candidat a réussi ou échoué mais juste parce que ce pays est parvenu à cette performance en déjouant tous les pièges – nombreux – de la période transitoire. On reconnaitra la classe des deux hommes, indépendamment de tout ce qu'on peut reprocher à l'un et à l'autre. Toute la Tunisie aura vécu pour vivre ce moment où l'on construit une démocratie viable avec la passation pacifique des pouvoirs comme règle absolue. Pendant les trois dernières années, on avait tous la « tête dans le guidon ». On était tous empêtrés dans les travers de cette transition démocratique, appliqués à déjouer ses écueils et à confronter les arguments et les modes de pensée. A aucun moment on n'a eu le répit nécessaire pour pouvoir prendre la mesure historique de ce que vivait, et continue à vivre, la Tunisie. Avant de replonger et de travailler sur les dossiers et les préoccupations de notre pays, on peut prendre le temps de se congratuler, de se féliciter, de se retourner sur le chemin parcouru. Abstraction faite des appartenances politiques, on peut être fiers de notre pays. En tant que journalistes, on ressent une émotion particulière en regardant cette passation car c'est le signe d'une démocratie naissante, une démocratie dont on continuera à être les farouches défenseurs. Même si l'on a été insultés, vilipendés et parfois agressés, nous avons continué à nous battre et on ne s'arrêtera pas de le faire. L'ensemble de la société civile tunisienne peut également se féliciter d'avoir largement contribué à aider la Tunisie pour atteindre ce stade. Cette société civile tunisienne a montré une maturité et une responsabilité largement supérieure à celles de certains partis politiques, et c'est grâce à elle que le consensus a été privilégié comme méthode pour enfin créer le modèle tunisien. En cette journée, on ressent également une pointe de douleur. Chokri Belaïd, Mohamed Brahmi et tous ceux qui ont donné leurs vies pour ce pays auraient dû assister à cet instant historique. Ils auraient dû être là et partager notre fierté, mais leur destin a été plus noble encore car ils ont donné leurs vies pour nous permettre de vivre cette scène. Sans leur sacrifice, peut-être n'aurions-nous jamais pu nous délecter de cette démocratie dont leur sang a été le ciment. La moindre des choses qu'on leur doit, c'est la justice. Leurs meurtriers doivent être connus et punis pour leurs actes, tout autant que ceux qui les ont aidés de près ou de loin. Quand on parle de douleur, on ne peut se souvenir de tous ces soldats et agents de l'ordre, morts en combattant le terrorisme. On se souviendra de ces soldats dans la fleur de l'âge qui ont sauté sur des mines, qui ont été égorgés ou assassinés par balles. Leur sacrifice n'est pas des moindres et on devrait tous prendre exemple sur ces valeureux soldats. Des soldats qui alités, souffrant de plusieurs blessures, n'attendent qu'une chose : se remettre sur pied pour retourner dans les hauteurs. La Tunisie est un grand pays. Quoi que l'on puisse en dire, ce pays a un grand destin et est en train de l'accomplir. On parle déjà de l'exception tunisienne et c'est une dénomination méritée. Aujourd'hui, le défi sera de continuer sur ce chemin et d'être conscient que le travail n'en est qu'à ses débuts. Vive la Tunisie, libre et démocratique !