Le Maroc est souvent présenté comme étant celui qui s'en sort le mieux parmi les pays du Maghreb, en matière de croissance et de développement. Alors qu'on compare souvent la Tunisie à son voisin de l'ouest qui la devance sur bien des niveaux, les choses ne sont visiblement pas aussi roses pour le Maroc qu'on voudrait bien le faire croire… « Il faudrait 154 ans à un salarié au SMIG pour gagner ce que reçoit en un an, un milliardaire du Maroc », voilà ce qui ressort d'un rapport établi par Oxfam sur les inégalités sociales au Maroc. Dans ce rapport, paru fin avril 2019, l'ONG dresse un tableau « plus que gris » de la situation sociale au Maroc pointant du doigt de très gros écarts de richesse au sein du royaume. Un rapport qui présente le Maroc comme état le pays le plus inégalitaire du nord de l'Afrique et dans la moitié la plus inégalitaire des pays de la planète.
Le Maroc est brandi ces dernières années comme étant l'exemple dont la Tunisie devrait s'inspirer pour une sortie de crise. Meilleure attractivité des IDE (investissements directs à l'étranger), un tourisme plus florissant et un taux de croissance en hausse, et pourtant, pour de nombreux Marocains, la réalité n'est pas aussi rose. L'image présentée par le rapport d'Oxfam tranche considérablement avec celle d'un Maroc arrivant en tête du classement des pays ayant attiré le plus d'investisseurs. Alors que le pays affiche des taux de croissance à faire pâlir d'envie ses voisins maghrébins – et même africains – des variables telles que l'éducation et la santé ont été ignorées au profit d'une plus grande attractivité économique. En effet, malgré un taux de croissance moyenne de 4,4% depuis 2010, un taux de pauvreté sensiblement réduit (de 15,3% en 2011, il est passé à 4,8% en 2014), les disparités sociales n'ont jamais été aussi criardes au Maroc. En cause selon l'ONG ? Une taxation inégalitaire.
« Alors que les inégalités sont particulièrement prégnantes dans le Royaume, le système fiscal actuel est inefficace dans la lutte pour une meilleure redistribution des richesses. Au cours des vingt dernières années, la croissance marocaine a été dynamique, et le pays a affiché un succès certain dans la réduction de la pauvreté qui se situe en dessous de 5% dans l'actualité. Mais les résultats seraient d'autant plus positifs dans un contexte de réduction des inégalités. En fait, ni la croissance continue ni la réduction de la pauvreté n'ont été accompagnées par une baisse des inégalités » note l'ONG dans son rapport. Oxfam explique que ces écarts entre compétitivité et inégalité sociales sont dus au fait que les données de la croissance sont basées sur une approche uniquement monétaire de la pauvreté. Ces données ignorent également ce que l'ONG nomme « taux de vulnérabilité » et qui concerne les familles qui se situent juste au-dessus du seuil de pauvreté et sont susceptibles d'y tomber au moindre coup dur. Un taux qui concernerait un Marocain sur huit au niveau national, et près d'un sur cinq en milieu rural.
En 2017, Ernest & Young publiait un rapport dans lequel le Maroc est arrivé premier en matière d'attractivité des IDE. Le pays voisin détrône ainsi l'Afrique du Sud, qui était première au classement, grâce à une administration stable et à un climat des affaires jugé plus sain par les investisseurs. Le Maroc passe ainsi de 5 à 14 projets IDE de 2014 à 2016 et se présente aussi comme une base d'exportation pour l'Europe, l'Afrique et le Moyen-Orient. Dans ce classement des 15 pays africains ayant attiré le plus de projets d'IDE en 2017, la Tunisie ne figurait même pas.
Si le Maroc est la terre de toutes les convoitises, c'est aussi celle de toutes les inégalités. Du moins selon ce récent rapport qui mesure les disparités au sein d'une population et montre une réalité qu'on ne voit pas forcément. Si en matière de croissance, de tourisme et d'attractivité, le Maroc tire son épingle du jeu, il semble cependant beaucoup moins bien loti en matière d'égalités sociales. A en croire l'ONG, le Maroc serait le pays de l'Afrique du Nord ayant une situation sociale que ses voisins tunisien, algérien ou égyptien n'ont pas à lui envier. « Ni la croissance continue au cours des vingt dernières années, ni les progrès affichés en termes de réduction de la pauvreté n'ont été suffisants. La montée des inégalités représente d'ailleurs un risque pour poursuivre la lutte contre la pauvreté » peut-on lire dans le rapport d'Oxfam. Plusieurs chiffres renseignent sur le niveau d'inégalités vécu par les Marocains. A titre d'exemple, les Marocains n'ont pas les mêmes chances d'accéder à des soins près de chez eux. Le Maroc ne compte que 6,2 médecins pour 10.000 habitants, contre 12 en Tunisie. Aussi, les insuffisances des systèmes de santé et d'éducation au Maroc expliquent en partie son faible Indice de Développement Humain (IDH). Le Maroc occupe en 2018 la 123ème place sur 188 pays. La Tunisie, elle, arrive en 97ème place. Par ailleurs, le système éducatif marocain reste largement défaillant. En effet, alors que la Tunisie consacre 21,5 % de son budget à l'éducation, la durée moyenne de scolarisation y est inférieure de deux années par rapport à la moyenne des pays arabes.
Si les chiffres donnent l'image d'un Maroc florissant et en pleine croissance, ils montrent aussi la face cachée des inégalités subies par une large partie de la population. Toujours selon Oxfam, « la croissance et l'augmentation des richesses semblent d'ailleurs ne bénéficier qu'à un tout petit nombre de personnes très fortunées »...