Le mois de Ramadan est décidément devenu le mois de toutes les polémiques. Si le caractère sacré de ce mois saint est indiscutable pour les musulmans, son essence, en tant que pratique religieuse profondément personnelle, tend à disparaitre pour laisser place à un phénomène de société où s'affrontent ceux qui veulent l'imposer à tous et ceux qui continuent de croire que la question relève des convictions de chacun. Cette année un autre élément est venu perturber davantage l'équilibre désormais précaire de cette période. Le Covid-19, pandémie qui sévit dans le monde amène les scientifiques et la communauté religieuse à se poser des questions sur l'inoffensivité du jeûne quand un virus potentiellement mortel rôde dans le monde… Le mufti de la République tunisienne, Othmane Battikh a donné hier une déclaration « fracassante ». Le mufti a expliqué à la télé que le jeûne du mois de Ramadan dépendra de l'évaluation de la situation dans le pays par le conseil de la sécurité nationale.
Othmane Battikh a toutefois nuancé le propos en rappelant que si le jeûne du mois de Ramadan est l'un des piliers de l'islam des exceptions sont toutefois tolérées et précisant que la religion n'est pas figée. « Aujourd'hui, nous ne pouvons pas nous prononcer sur cette question, tenant compte de la situation épidémique dans le pays. Seuls les médecins peuvent émettre un avis et nous attendrons l'évaluation de la situation qui sera établie par le conseil de sécurité nationale qui se tiendra ce jeudi », indique le mufti qui ne s'est donc pas réellement prononcé sur le sujet laissant à la communauté scientifique le soin d'évaluer la situation et de donner ses recommandations.
Les propos du Mufti ont largement été salués par l'opinion publique qui a jugé que son approche est sage et qu'en tant qu'homme de foi, consulter la science dans ce type de situations est une preuve de modernisme et d'ouverture d'esprit n'en déplaise aux extrémistes. Pour les conquis, la question du jeûne n'a pas été abordée, cette frange juge qu'il n'y a pas lieu d'en discuter et que Othmane Battikh a clairement remis la religion dans son cadre, c'est-à-dire une affaire de libre choix.
Bien évidemment, certains autres ont apparemment entendu le Mufti dire qu'il ne fallait pas jeûner cette année et leurs flèches ont fusé de partout. Bien qu'il ait clairement expliqué qu'il attendait l'avis des scientifiques pour se prononcer sur la question, très vite il a été la cible des attaques les plus viles. On l'a tout de suite insulté, estimant que les scientifiques n'ont pas d'avis à donner sur la question et que le jeûne est une obligation qu'il faudra respecter peu importe le contexte. On a même appelé à ce qu'il soit limogé et accusé de percevoir un salaire à ne rien faire. Le député Al Karama, Abdellatif Aloui, dont l'humour douteux n'est plus à démontrer, a même attaqué le Mufti en moquant son nom. « Il faut séparer le Battikh (melon) et la politique » a écrit le député, rigolant de sa propre blague.
Suite à la déclaration d'Othmane Battikh, un communiqué a été publié par des enseignants de l'Université de la Zitouna. Dans le communiqué il est dit que le jeûne est obligatoire pour tout adulte bien portant et que les personnes vulnérables ou malades, du Covid-19 notamment, sont autorisées à ne pas jeûner si les médecins le leur recommandent. Ils ont en outre indiqué qu'il est faux de dire que le jeûne affaiblit l'immunité ou augmente le risque d'être infecté par le virus.
Il est vrai que la question de l'impact du jeûne sur l'immunité n'a pas été tranchée par les scientifiques. De nombreuses études ont néanmoins loué les effets du jeûne séquentiel, ou ponctuel, sur la santé et sur le système immunitaire. Il s'agit, cela dit, d'un jeûne qui est en certains points différent de ce qui est pratiqué pendant le mois de Ramadan, où il est par exemple conseillé de boire beaucoup d'eau pendant la diète pour débarrasser le corps des toxines.
Le contexte d'aujourd'hui est différent de tout ce qu'a connu l'humanité jusqu'ici. Le Covid-19 est un virus encore méconnu, dont les effets sont encore à découvrir et que les scientifiques peinent encore à cerner. Il s'agit d'un virus qui a tué en l'espace de quelques semaines des milliers de personnes et qui en a infecté des millions de par le monde. Il est donc aujourd'hui logique d'aborder la question du jeûne sous un angle purement scientifique plutôt que purement religieux et c'est ce qu'a tenu à expliquer le Mufti. Evidemment chacun sera libre par la suite d'appliquer les recommandations ou pas…