Lady Bridgewater était la reine, vendredi dernier, de Tabarka. Dans la Basilique, elle surgit sur scène comme une tornade et ne laisse pas un seul instant le public tranquille. Elle se déchaîne et ses fans venus de partout saluent ses prouesses et la suivent dans un voyage entre blues, soul, jazz et folk. Fille de trompettiste, épouse de trompettiste (Cecil Bridgewater, en 1970), chanteuse du fabuleux orchestre Thad Jones (trompettiste) & Mel Lewis, en 1971, partenaire de Dizzy, Sonny, Dexter ou Max, Dee Dee s'impose comme comédienne de jazz, soul et funk. Sa rencontre avec la Tunisie date de 2007 dans le cadre de la 3e édition de Jazz à Carthage et, depuis, l'aventure ne s'est pas arrêtée. Elle était l'invitée de Jazz à Tabarka il y a quelques années. Dans une robe gris perle, des lunettes rouges et un crâne rasé, Dee Dee n'a pas perdu de sa superbe. Sa voix puissante réveille les plus récalcitrants à ce genre de musique. On ne peut pas rester indifférent à cette chanteuse américaine d'adoption française qui maîtrise tous les genres de la musique populaire américaine et s'installe en héritière d'Ella Fitzgerald et de Billie Holiday. Au début de sa représentation, elle a invité le public à danser, mais ce dernier ne semblait pas être en grande forme et ce n'est que vers la fin du concert et sur insistance de l'artiste qu'il a commencé à bouger. C'est donc dans le silence et le recueillement qu'il l'a accompagnée dans ses retrouvailles avec Tabarka, une ville qu'elle aime et qui le lui rend si bien. Le climat est, lui aussi, resté calme. Pas de vent, ni de pluie pour déranger les exploits de cette gardienne de la tradition dont l'album «Dear Ella», hommage à Ella Fitzgerald, lui a valu deux Grammy Awards. Dans son show, Dee Dee étale son histoire personnelle et monte jusqu'aux origines de l'esclavage et dit son inquiétude sur le 45e, entendre ici le président actuel des Etats-Unis qui «n'aime pas les noirs», confie-t-elle. Avec sa voix rocailleuse, elle chante un refrain sur la cause des noirs, composé pour l'imploration et l'espérance. Elle alterne avec une grande énergie les morceaux en invitant à chaque fois un musicien pour l'accompagner en solo Le guitariste, pianiste et chanteur de jazz Stanley Jordan, a meublé durant plus d'une heure la première partie du programme avec du jazz fusion d'une intensité particulière créant la surprise du public resté calme tout au long de la prestation de cet artiste américain qui a commencé sa carrière dans les années 80. Connu pour sa technique de «tapping» qui consiste à jouer des deux mains : guitare et piano en même temps ou de deux guitares, il n'a pas connu la célébrité malgré une discographie assez consistante et sa maîtrise de jeu. Ce soir-là, il s'est particulièrement distingué avec «Les feuilles mortes», la chanson tube d'Yves Montand qu'il a interprétée musicalement de manière originale qui a séduit l'assistance présente. Jazz à Tabarka revient, au cours de cette édition, aux grands talents du jazz et du blues après une coupure qui n'a que trop duré. L'ambiance n'est évidemment plus la même. Les organisateurs devraient, peut-être, revenir à l'écran géant qui transmet directement la soirée et permettre de la sorte à un plus grand nombre de spectateurs de suivre les spectacles. Une belle tradition à maintenir pour les prochaines éditions.