Le 8 mai, Abir Moussi, présidente du Parti Destourien Libre (PDL), publie une adresse vidéo où elle informe le public qu'elle avait été convoquée au Pôle Judiciaire de Lutte contre le terrorisme, où on lui a présenté une pile de vingt centimètres d'épaisseur, de menaces de liquidation qui la visaient directement. Selon Moussi, les menaces proviennent de Tunisie, mis aussi de l'étranger. Des menaces apparemment en lien étroit avec ses dernières actions et prises de positions contre l'actuel président de l'ARP, Rached Ghannouchi. Cependant, la présidente du PDL s'est abstenue de décliner les noms de certaines personnes et de certains milieux auteurs de ces menaces, une réserve qu'elle a fait valoir puisque l'instruction est encore à ses débuts. En filigrane, Abir Moussi nous apprend qu'aucun mandat d'arrêt n'a encore été émis à l'encontre de quiconque, ni en Tunisie, ni à l'étranger. Par ses dimensions, ce dossier nécessite naturellement plus d'une brigade d'enquêteurs, toutes spécialités comprises. Non seulement pour identifier les sources réelles des menaces, si elles sont personnelles ou émanant d'organisations structurées, mais surtout afin de comprendre les vrais mobiles d'une telle « campagne bien orchestrée », loin de tous caprices personnels. La rareté des données disponibles au public jusqu'à maintenant fait que de telles informations suscitent plus de souvenirs d'autres cas de liquidation physique que de questions sur la nature et l'étendue de l'actuelle campagne. Du reste, quel que soit l'issue de cette « affaire », nous sommes contraints de nous en remettre à la constatation combien alarmante du fait que la politique en Tunisie renoue avec la violence et les menaces. Une donnée qui n'est pas faite pour réconforter la société, d'autant plus que les affaires Chokri Belaid, Mohamed Brahmi semblent être jetées aux oubliettes, comme si le « système » a fini par admettre l'existence, même en marge de la légalité, d'une telle donnée de la violence sur l'échiquier politique national. A qui profite la terreur à l'ARP ? Tandis que les deux enquêtes sur des meurtres politiques commis voilà plus de sept ans (6 février et 25 juillet 2013), trainent encore et achoppent chaque jour sur des détails procéduraux futiles, et parfois montés de toute pièce, la nouvelle vague de menaces proférées à l'encontre de la présidente du PDL, avec sa médiatisation prend une dimension autrement plus grave. Cela a tout l'air d'une menace adressée, via Abir Moussi, à toute éventuelle voix discordante avec celle du président de l'ARP et de sa milice bien installée au Bardo. Une telle situation est de nature à mettre en doute l'authenticité de tous les votes complaisants, purement défensifs, qui vont s'aligner bon gré malgré, sur les pratiques douteuses et anticonstitutionnelles qui prennent pied chaque jour un peu plus au sein de l'ARP. Un signe qui ne trompe pas : Des députés renient publiquement leur droit constitutionnel d'interroger le président de l'ARP, lequel doit son investiture aux voix d'un parti en cours de dislocation, Qalb Tounes. Ainsi, au bout de 100 jours d'exercice, l'ARP s'installe dans une ambiance multiforme et multicolore, qui n'hésitera pas à faire passer ce qu'elle veut, devant un Hémicycle tremblant de peur physique, puisque c'est à ce genre de chantage sécuritaire organisé que cette minorité a décidé de faire usage pour faire avancer ses pions. On voit mal, dans cette ambiance délétère, l'ARP se pencher sur des questions d'envergure réellement nationale, tandis que le pays se gratte les méninges sur l'après-Covid-19. Dans ce contexte, l'on est en droit de nous interroger sur la contribution de l'ARP à cet effort national de réflexion prospective, en ce sens que toute erreur d'appréciation sur cette période à venir sera fatale pour tous. Mettre le volet économique, entre parenthèses, pour vaquer à la conquête des rouages de l'Etat par la menace physique est, à tous égards condamnable, voire passible de Cour martiale pour haute trahison. Là encore on n'invente rien. Les questions vitales, ça peut attendre ! Voici une déclaration du Général en retraite des renseignements militaires, Ahmed Chaabir, sur le sens à donner à cette réflexion prospective : « Gouverner, c'est aussi anticiper. Pour anticiper, il faut avoir des informations, des données et des renseignements, c'est en sorte de la prospective. Il est temps que le Renseignement Economique soit à l'œuvre. L'après-Covid-19 devrait être une opportunité pour notre économie. Les relations Chine-Europe vont changer. Des relocalisations sont en vue. Notre pays gagnerait si on sait être réactif, crédible. A nos Gouvernants d'agir, d'être "agressifs", de se préparer afin d'offrir les meilleures conditions possibles aux investisseurs. La concurrence avec nos voisins serait atroce. A nous de décider ». En attendant, à l'ARP, on organise des campagnes de terreur contre les députés non acquis à la vente du pays à des axes plus suspects les uns que les autres. On immunise le chef de l'ARP contre toute demande de compte sur ses agissements non moins suspects de par leur impact sur la souveraineté du pays. On étrangle le gouvernement par une série interminable de demandes d'audition, tout cela pour ne pas s'avouer l'absurdité d'une ARP pathogène, qui trouve encore le luxe de laisser de côté les vraies urgences, pour voter des lois de nature à soustraire l'allié Qalb Tounes à la dislocation. Une pratique inédite en Tunisie. Peut-être éprouvée au Soudan des années 1990. Entretemps, la Cour Constitutionnelle attendra. Avec elle la réforme de la loi électorale, la loi sur le contrôle du financement des partis politiques, les lois sur la corruption, les réformes économiques et sociales vitalement urgentes… On prête à la Chine d'avoir créé un virus. La Tunisie en est de loin plus performante. Elle a créé, à l'air libre, une tumeur maligne, l'ARP.