La célébration de la Fête la Femme qui a coïncidé, cette année, avec le 60ème anniversaire de la promulgation du Code du statut personnel (CSP), n'a pas laissé indifférent. Elle a été même marquée par une forte polémique pour plusieurs raisons. Au cours des jours précédant la célébration de la Fête, on a enregistré un certain élan à travers les réseaux sociaux sur Internet appelant au boycott de la cérémonie organisée le 13 août par la présidence de la République au Palais de Carthage. Il est bon de s'arrêter, d'abord, à ce fait. En effet, il s'agit d'un signe positif en soi dans la mesure où les Tunisiennes et les Tunisiens s'expriment, désormais, librement et publiquement, même lorsqu'il s'agit de dire « Non » au chef de l'Etat, chose impensable du temps de l'ancien régime sous Ben Ali. Le rejet a pris même l'ampleur d'une véritable campagne menée par une pléiade de femmes intellectuelles et autres artistes de divers secteurs. Après l'universitaire et militante, Sana Ben Achour, d'autres noms de femmes, et non des moindres, ont suivi. On citera, entre autres, Olfa Youssef, Mariem Ben Hussein, Sawssen Maâlej et certaines journalistes... Ceci n'a pas empêché la cérémonie de se dérouler normalement en présence d'un très grand nombre de femmes invitées et la décoration de plusieurs femmes dont des militantes des droits de l'Homme, des journalistes, des femmes de culture et des artistes. Les autres critiques adressées à l'institution de la présidence de la République ont été enregistrées après la cérémonie avec des reproches concernant le contenu de l'adresse faite par Béji aïd Essebsi en cette circonstance et le manque, voire l'absence de décisions qu'on aurait bien aimé entendre au profit de la Femme dans un sens de consolidation des acquis. Si la célébration de l'année dernière s'est illustrée par l'annonce de la nouvelle loi accordant la tutelle des enfants à la mère au même titre que pour l'homme, il n'en est rien pour cette année 2016 dans la mesure où même la loi relative aux violences contre les femmes n'a pas été amendée conformément aux attentes des juristes, des droit-de-l'hommistes et de la gent féminine. Les observateurs estiment que, finalement, il y a eu beaucoup de tapage sans rien de concret en faveur de la femme et de la famille. Car on s'attendait à de nouvelles améliorations de ce Code qui reste, en soi, un acquis de taille par rapport aux autres pays dans le monde arabe. Il ne faut pas perdre de vue que le CSP contient trois points fondamentaux, en l'occurrence l'abolition de la polygamie, l'institution du divorce judiciaire au lieu de la répudiation et l'octroi des droits politiques, dont notamment celui de voter. Mais au vu de la réalité des choses dans le vécu quotidien par les femmes tunisiennes, beaucoup de chemin doit être encore parcouru afin de gagner la bataille pour la scolarisation, l'amélioration des conditions de vie et du niveau sanitaire, avoir un meilleur accès à la vie professionnelle, mettre un terme à l'exploitation de la main-d'œuvre féminine et au harcèlement sous toutes ses formes. Ainsi, au moment où les militants cherchent à obtenir de nouveaux acquis en faveur des femmes, un dirigeant nahdhaoui, du nom de Hatem Boulabiar, membre du Conseil de la choura n'a pas trouvé mieux que cette occasion pour lancer une proposition que tout le monde a jugé inopportune, dans le sens où il a appelé au retour de la polygamie. Ni plus, ni moins ! Ce membre du parti islamiste faisant partie de la coalition au pouvoir, a cru bon et adéquat de poser la question, dans un post publié sur sa page Facebook, sur l'opportunité et la possibilité de légaliser de nouveau, en Tunisie, la polygamie, interdite depuis 60 ans ! Après une introduction anodine dans laquelle il a présenté ses félicitations aux femmes pour leur Fête, cet homme, pourtant diplômé des universités européennes, s'est permis de poser une question qui constitue, plutôt, une provocation aberrante . Qu'on en juge : «Que pensez-vous mesdames et messieurs de la réintroduction de la polygamie?», a-t-il écrit sous la forme interrogative. Ce qui lui a valu des réactions violentes de la part des internautes, hommes et femmes. «Pose la question à ta femme. Et dis-moi ce que tu ressentiras le jour où Baya, ta fille, viendra te voir en pleurant parce ce que son mari en prend une autre», lui a rétorqué, du tac au tac, l'un des internautes. Cette proposition « indécente » de ce sieur Hatem Boulabiar apporte la preuve, si besoin est, qu'un islamiste reste comme tel au fond, même s'il lui arrive de tenir un discours progressiste, moderniste, et démocrate. Ce qui est encore plus malheureux est qu'aucune voix, officielle ou non, chez Ennahdha ne s'est élevée pour condamner ou même juste critiquer lesdits propos moyenâgeux ! Pour ceux qui ont la mémoire courte on leur rappelle qu'en 2013, en plein débat sur la nouvelle constitution, les députés d'Ennahdha, et à leur tête les femmes, plus précisément Meherzia Laâbidi, ont tout fait pour empêcher que l'on inscrive l'égalité entre l'homme et la femme dans le texte de la loi fondamentale. Ils voulaient imposer le concept et l'expression de la « femme est complémentaire de l'homme », ce qui aurait démoli les fondements mêmes de l'esprit du Code du statut personnel prônant l'égalité. D'ailleurs, les observateurs sont persuadés que n'eût été l'abnégation des démocrates et des progressistes et n'eût été la grande mobilisation des Tunisiennes et des Tunisiens libres, on aurait eu droit à une constitution qui nous aurait fait retourner 15 siècles en arrière. Pour ceux qui ont la mémoire, on leur rappelle que la même Meherzia Laâbidi était fière de brandir les quatre doigts de sa main, le signe fétiche par excellence des « frères musulmans » que tous les membres d'Ennahdha, et à leur tête Rached Ghanouchi, nient avec force. Et la grande question qui se pose : avec le rapprochement sans précédent entre le parti islamiste et BCE, où va la Tunisie? Certains bruits font état de l'existence de crèches enseignant des programmes conventionnels tout en « formatant » dans le secret, de jeunes enfants à la chariâa. Nous aurions bien aimé voir, à titre d'exemple, I Watch à l'œuvre pour nous en dire ce qu'il en est exactement et, le cas échéant, s'y opposer et mener une campagne pour dénoncer ces éventuels faits. En tout état de cause, la majorité des femmes, qui étaient plus d'un million, à avoir accordé leurs voix à Béji Caïd Essebsi, semblent regretter leur choix, car en fin de compte elles ont, indirectement, facilité le retour des islamistes au pouvoir...