Depuis l'avènement de l'ère Kaïs Saïed, nous avançons d'une surprise à une autre au point où désormais, plus rien ne pourra nous surprendre : Plus c'est grandiose, grotesque, incongru et impensable ; plus c'est harmonieux et concordant avec notre triste réalité. Sans surprise donc, le président de la république a décrété sa nouvelle loi électorale. Elle reflète fidèlement sa vision politique et même sa vision du monde. Elle trahit aussi son amateurisme et son manque d'expérience politique. En effet le mode de scrutin uninominal à deux tours, consacré dans la nouvelle loi électorale, épouse parfaitement en apparence, les contours du projet présidentiel de construction de base. Cette loi électorale confirme par ailleurs ce que l'on sait déjà : le caractère paternaliste du président de la république ainsi que le peu de considération que porte Kais Saied envers la femme. Toute allusion à une quelconque égalité des chances entre les hommes et les femmes ou une quelconque discrimination positive en faveur des femmes a été bannie de cette loi électorale. Il reste aux femmes qui veulent encore s'intéresser à la vie publique le choix de parrainer leurs candidats masculins. Quant à la nomination d'une femme à la tête du gouvernement, c'est juste pour la carte postale et pour la capacité de cette « première femme dans le monde arabe à être nommée à la tête d'un gouvernement » d'avaler toutes les couleuvres présidentielles. Plus grave encore, cette discrimination envers les femmes s'élargit dans la nouvelle loi électorale pour atteindre aussi les binationaux, une frange qui représente plus de dix pour cent de la population tunisienne et dont l'apport en devises étrangères représente une aubaine pour le pays dans ce contexte économique difficile. La loi électorale présidentielle fait désormais de ces binationaux, des citoyens de seconde zone à partir du moment où ils rentrent définitivement chez eux et suspendent de ce fait leurs virements de l'étranger. Ils sont carrément interdits de se présenter aux élections législatives et de faire partie de la prochaine assemblée de représentants du peuple. En matière de droits humains et au vu des normes électorales internationales, cette mesure est quasiment indéfendable. Mais il y a pire. Le président de la république a toujours affirmé que l'ère des partis politiques est révolue et qu'il luttera sans relâche contre la corruption et l'argent sale en politique. La nouvelle loi électorale va à l'encontre de ces convictions présidentielles. Elle consacrera la domination des partis, les plus grands et les mieux structurés, sur le paysage politique. En effet, seuls quelques partis politiques ne dépassant pas les doigts d'une seule main parmi les plus de deux cent cinquante existants sont capables de mobiliser leurs structures, mettre en place les logistiques nécessaires et engager leurs machines électorales dans un processus long et complexe. Au final, les élections se réduiront à une compétition entre les islamistes d'Ennahdha, les destouriens du PDL et les fans de Kais Saied obligés de dévoiler leur mode et outils organisationnels qui s'apparenteront comme deux gouttes d'eau à ce qui existe déjà dans les partis politiques. D'un autre côté, les périodes électorales deviendront des foires de vente des signatures de parrainage et de financement occulte des campagnes. En optant pour le non financement public des campagnes électorales et pour un nombre exorbitant de parrainages, la nouvelle loi électorale a ouvert la boite de pandore. Dans un pays qui souffre déjà d'une corruption endémique, on peut mettre les lois les plus rigides, les corrompus, dont la présence sur la scène politique est loin d'être négligeable, trouveront toujours les moyens de contourner ces lois. Parce qu'il est novice en politique, et surtout parce qu'il se croit capable de tout faire tout seul sans consulter personne, Kais Saied montre une fois encore qu'il est capable de saper, sans le vouloir, ses propres objectifs et de servir ceux de ses adversaires.