Il est indéniable que l'Etat tunisien est un Etat farfelu. Faut-il en rire ou en pleurer ? Parce qu'il est le garant de l'unité du pays et du peuple. Parce qu'il gère les différences et les crises d'une manière globale et froide. Parce qu'il ne fait prévaloir que l'intérêt national et la primauté de la loi qui s'applique à tous sans discernement, l'Etat représente la cohérence et la rationalité. Ce n'est malheureusement pas le cas chez nous. L'Etat tunisien donne la nette impression qu'il est un Etat farfelu, qui n'a pas la tête sur les épaules, qui patauge sans cesse, ce qui le conduit épisodiquement, parfois, trop souvent même, à prendre des positions ou des décisions biscornues. Depuis deux ans, ce qui coincide avec l'accaparation de tous les pouvoirs par le président Kaïs Saïed, il est devenu coutumier d'annoncer des décisions pour les annuler ou les aménager tout de suite après sans même prendre la peine d'expliquer les raisons qui ont poussé à prendre ces décisions ou pourquoi elles ont été annulées. L'exemple le plus burlesque est celui de la constitution tunisienne publiée en août dernier une première fois dans le journal officiel pour être retirée et publiée de nouveau en l'espace de quelques jours seulement après l'introduction de plus de quarante corrections et rectifications sur sa copie initiale. Avec une légèreté déconcertante, le président de la République avait déclaré que des erreurs se sont faufilées dans le texte initial de la constitution. Plus d'une année après, il m'est encore difficile d'imaginer quarante erreurs et leur chef se faufiler dans le bureau du Président, grimper sur le pupitre présidentiel et s'incruster dans un texte écrit par le Président lui-même, de ses propres mains, avec sa propre plume, dans le secret le plus total. Avouons que c'est une image loufoque. Avouons aussi qu'il n'était pas très rationnel de la part du président de la République d'écrire seul la constitution du pays, ni très fair-play de sa part de réunir une pléiade de personnalités pour ignorer totalement leurs efforts fournis durant des jours. D'ailleurs, les seul rescapés de ces réunions des dupes est le bâtonnier Brahim Bouderbala qui a réussi à se hisser à la présidence du parlement et Fatma Mseddi qui a enfin retrouvé son siège au Bardo.
Toujours dans le chapitre des cocasseries de l'Etat tunisien, le ministère du Commerce a annoncé samedi 19 aout la reprise de ravitaillement des boulangeries modernes par la farine et la semoule à condition qu'elles renoncent à l'appellation « boulangerie ». C'est-à-dire que ces boulangeries « non classées » peuvent reprendre la production du pain qui reste du pain quelque soit son poids ou sa forme et le vendre au public. Seulement, ces boulangeries non classées ne peuvent plus arborer leur statut de boulangerie. Il faudrait désormais beaucoup d'imagination et de créativité aux patrons de ces boulangeries pour trouver des appellations qui indiquent qu'ils vendent du pain sans le dire franchement. Rappelons que le ministère du Commerce avait annoncé au début du mois d'août la suspension du ravitaillement des boulangeries modernes en farine et semoule en conformité avec la position du président de la République qui, dans sa baille contre la corruption, le monopole, les cartels et autres, avait annoncé qu'en Tunisie, il ne doit y avoir qu'un même pain pour tous les Tunisiens. Parce que cette décision n'était pas rationnelle au départ, elle n'a pas tenu une vingtaine de jours.
Le ministère de la Jeunesse et des Sports n'était pas en reste lui aussi. Il a pris à la lettre la position du président en faveur de « l'épuration de la fonction publique » et la nécessité de vérifier la véracité de diplômes de tous les fonctionnaires recrutés depuis 2011. Dans un élan de zèle et de flagornerie de basse facture, la direction régionale de Sfax de la jeunesse et des sports a vite demandé aux fonctionnaires sous sa tutelle de lui fournir les documents attestant la véracité de leurs diplômes. Heureusement 24 heures après, le ministère a pris conscience que cette manière de faire ouvre la boite de pandore et inaugure une véritable chasse aux sorcières. Il a publié une nouvelle note annulant la démarche de la direction régionale de Sfax et annonçant que la vérification de l'authenticité des diplômes se fera au niveau central en collaboration avec les instituts supérieurs des sports. C'est ainsi que le ministère a évité le pire. Il a vite fait d'annuler une décision qui n'avait pas lieu d'être et qui était dès le départ farfelue et irrationnelle.