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Salafisme et liberté
Publié dans Business News le 29 - 05 - 2012

Comme on pouvait le craindre depuis le grand rassemblement de Kairouan, dimanche avant dernier, et la multiplication des prêches incendiaires, les salafistes sont passés à l'offensive. A Jendouba et Ghardimaou, ils ont attaqué des postes de police et de la Garde nationale, des débits de boisson, et ont vandalisé un des rares hôtels à proposer de l'alcool.
Que de tels événements aient eu pour théâtre la région du Nord-Ouest ne doit pas nous étonner. Jendouba est connue pour être un foyer actif du salafisme. C'est aussi une de ces nombreuses régions où l'Etat tunisien chancèle depuis le 14 janvier 2011. Dirigée contre le régime prédateur et policier de Ben Ali, la Révolution a aussi atteint et affaibli l'Etat. Sans doute était-ce inévitable, dans la mesure où, depuis l'indépendance, nos gouvernants avaient savamment entretenu la confusion entre l'Etat, le parti et le régime. S'attaquer à un poste de police ou une municipalité est devenu légitime et licite. La Révolution a fait sauter le couvercle de la peur. Elle a aussi, malheureusement, brouillé les repères.
L'Etat autoritaire et policier avait confisqué la liberté. La Révolution a permis à la Tunisie de refermer cette page sombre. Mais elle portera ses fruits que le jour où nous comprendrons et où nous aurons intégré l'idée qu'en démocratie, la liberté ne peut se concevoir en dehors de l'Etat. La liberté doit se réaliser dans l'Etat, et non contre l'Etat. L'Etat est le gardien des libertés individuelles et collectives. Il est le rempart contre l'anarchie. Le retrait ou la disparition de l'Etat provoque presque immédiatement une régression des libertés. Nous l'observons désormais quotidiennement dans les régions marginalisées de l'intérieur. Des groupes ou des fractions d'exaltés tentent d'imposer leur loi aux autres, en toute impunité. En réalité, ceux qui rejettent les lois de l'Etat sont les vrais ennemis de la liberté.
L'Etat tunisien ne doit pas être absout. Il a été perverti par l'absolutisme et doit être réformé, assaini, épuré. Mais l'épuration ne doit pas se transformer en prétexte à son affaiblissement. Car malgré ses imperfections et ses tares, l'Etat reste notre bien commun. Sans Etat, nos libertés disparaîtraient.
Les agissements de la mouvance salafiste ne constituent pas seulement un défi à l'Etat. Ils sont aussi un défi au gouvernement. Celui-ci a jusqu'à présent fait preuve d'un laxisme coupable. Le ministre de l'Intérieur a multiplié les admonestations mais s'est refusé à sévir. Fait sans précédent dans les annales de l'administration, les syndicats des forces de l'ordre exigent maintenant qu'on leur donne les moyens légaux d'assurer leur mission. Ali Laârayedh est au pied du mur.
Comment expliquer sa passivité et ses atermoiements? Beaucoup en sont convaincus : il existerait une sorte de collusion entre Ennahdha et les salafistes. Autant le dire d'entrée: nous ne croyons pas à cette hypothèse. Les choses sont à la fois plus simples et plus compliquées. Gardons la tête froide et tentons d'examiner le problème tel qu'il se pose.
Coté islamiste, on relève, c'est vrai, un florilège de déclarations ambigües et troublantes, les dernières en date étant celles d'Ali Laârayedh ou de Lotfi Zitoun, présentant les salafistes comme «nos enfants». Des enfants égarés, turbulents, mais qui resteraient cependant membres à part entière de la famille, et avec lesquels il faudrait privilégier le dialogue. On peut comprendre que les leaders islamistes conservent une forme de tendresse à l'endroit des salafistes, qui se réclament après tout d'une même inspiration idéologique et avec qui ils partagent la même volonté de réislamiser la société. On peut aussi comprendre leur réticence à réprimer, à employer les mêmes moyens que le dictateur honni. Mais ce tropisme laxiste ne date pas du 23 octobre. Il a commencé bien avant. De ce point de vue, le gouvernement de Hamadi Jebali se situe dans la continuité des gouvernements de Mohamed Ghannouchi et Béji Caïd Essebsi. Les deux premiers gouvernements provisoires avaient refusé de sévir et s'étaient retranchés derrière l'argument du déficit de légitimité.
En réalité, les salafistes ont le champ libre depuis le 14 janvier 2011. Plus le temps passe, et plus ils se sentent pousser des ailes. Rien n'indique que les salafistes partagent les dispositions d'esprit des dirigeants d'Ennahdha. Rien ne prouve qu'ils considèrent ce gouvernement comme l'instance légitime. Eux se prétendent les vrais et les seuls dépositaires de l'Islam politique. N'a-t-on pas entendu Abou Iyadh, l'un de leurs leaders, à Kairouan, accuser le gouvernement de la troïka de tourner le dos aux «principes véritables» du gouvernement islamique?
Oublions un instant la situation tunisienne, qui ne s'est pas encore totalement décantée, et regardons du côté des autres pays arabes. Deux exemples suffiront: ceux de l'Algérie et de l'Arabie saoudite. En Algérie, une véritable «guerre civile dans la guerre civile» a opposé le GIA, le Groupe Islamique Armé, d'obédience salafiste jihadiste, au FIS, le Front Islamique du Salut, vainqueur du scrutin de décembre 1991 et privé de sa victoire après l'interruption, du processus électoral. Cette guerre s'est d'abord traduite par des accrochages entre groupes rivaux et des assassinats de «modérés» du FIS par des commandos GIA, en Algérie et à l'étranger. Elle a connu son paroxysme en 1996/1997, avec les grandes vagues de massacres perpétrés dans les villages de Rais ou Bentalha. A chaque fois, les bourgades visées étaient des villages qui avaient voté massivement FIS en 1991, mais dont les habitants avaient refusé la logique de la guerre à outrance contre le régime et la population prônée par le sinistre Antar Zouabri. Cette fitna, déclenchée par les salafistes, est directement à l'origine de la défaite de l'islamisme politico-militaire algérien.
Le cas saoudien est tout aussi édifiant. Oussama Ben Laden et son organisation, Al Qaïda, sont des créations de la monarchie wahhabite. Formatés pour le Djihad hors des frontières du Royaume, en Afghanistan, dans le dessein d'affaiblir l'Union soviétique, les partisans d'Oussama Ben Laden ont fini par prendre leurs distances avec leur principal bailleur de fonds, en choisissant dans un premier temps l'option du Djihad global contre «l'ennemi lointain» («les Américains, les Croisés et les Juifs»), avant de retourner leurs armes contre le régime des Al Saoud. Les activistes d'AQPA ont multiplié attaques et attentats contre les symboles du pouvoir saoudien, corrompu, aligné sur Washington, et coupable d'avoir laissé des troupes étrangères profaner le sol qui abrite les lieux saints de La Mecque et Médine. Eux aussi ont été vaincus, au prix d'une répression impitoyable.
Dans les deux cas, les salafistes jihadistes, surgeon monstrueux du fondamentalisme musulman, se sont révélé les pires ennemis de l'Islam politique. Les dirigeants d'Ennahdha, qui ne sont ni des naïfs, ni des novices, ne peuvent pas l'ignorer. Ils savent les dangers auxquels ils s'exposent. Laisser se développer la mouvance salafiste, c'est prendre le risque qu'elle ne gangrène le tissu social et qu'elle n'enfante d'une contestation violente, qui finira inévitablement par prendre pour cible les représentants de l'autorité. C'est-à-dire Ennahdha.
Toute la difficulté, pour le parti majoritaire, réside dans l'aggiornamento doctrinal que suppose une rupture nette avec le salafisme. Les islamistes tunisiens auraient certainement aimé disposer de davantage de temps avant d'avoir à se prononcer clairement, histoire de laisser passer leur congrès et peut-être les prochaines élections. Leur mouvement est en effet adossé à deux référentiels contradictoires, le référentiel islamo-identitaire, communautaire et absolutiste, dont les salafistes se réclament, et le référentiel d'inspiration moderne et démocratique, qui sanctifie l'idée de liberté. Les variations de leur discours, qui emprunte à l'un et à l'autre de ces registres opposés, ne relèvent pas du double langage. Elles traduisent au contraire leur double nature. Cette forme de schizophrénie politique n'a en réalité rien d'original. Les socialistes européens, écartelés entre leurs aspirations humanistes et le concept de dictature du prolétariat, en ont été victimes. Ils ont vécu ce déchirement pendant des décennies, avant de se résoudre finalement à jeter aux orties le concept de dictature du prolétariat, incompatible avec le référentiel démocratique.
L'heure de vérité approche pour Ennahdha. La politique du grand écart semble avoir atteint ses limites. Les dirigeants du mouvement vont devoir choisir entre salafisme et liberté. Auront-ils la force de procéder à un ajustement doctrinal radical? Auront-ils le courage de s'engouffrer dans la brèche ouverte par les turcs de l'AKP, sincèrement convertis aux idéaux de la démocratie et des droits de l'homme? Ou resteront-ils prisonniers de leurs ambiguïtés, avec tous les risques que cela suppose? Nous n'allons pas tarder à le savoir…
(*) Journaliste et écrivain. A publié Orphelins de Bourguiba & héritiers du Prophète (Cérès éditions, janvier 2012).


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