Une manifestation sera organisée, le 10 mai, devant l'Assemblée nationale constituante, par le Syndicat national des forces de sécurité intérieure en vue de porter aux élus les revendications de l'un des corps essentiels de l'Etat. Cette manifestation va réunir les professionnels du secteur ainsi qu'un certain nombre de citoyens qui viendront apporter leur soutien aux représentants des forces de l'ordre. Ce ne sera pas la première fois que les forces de l'ordre manifestent leur mécontentement quant à leur situation et leurs conditions de travail. Leurs revendications visent à construire une police républicaine au service de la population, libérée de toute contrainte politique, une police qui ne servira pas le régime en place –quel qu'il soit- mais qui se consacrera à sa principale mission : assurer la sécurité des citoyens tunisiens. Les demandes des représentants des forces de l'ordre sont simples : la constitutionnalisation de la loi fondamentale régissant leur métier, la mise en place d'une prime de risque, l'institution d'une loi protégeant les forces de l'ordre dans l'exercice de leurs fonctions et d'une loi concernant la protection des sièges. Il va sans rappeler que les forces de l'ordre tunisiennes paient un lourd tribut depuis la révolution. La police tunisienne souffre d'une mauvaise image auprès du citoyen à cause de plusieurs décennies de répression et de maltraitance. Cette image s'est retrouvée confortée par certains dépassements dans lesquels des policiers ont été impliqués, mais encore faut-il avoir le discernement nécessaire pour ne pas mettre tout un appareil de l'Etat à la poubelle tout en admettant l'urgence de réformes de fond. D'un autre côté, les forces de l'ordre paient, également, un tribut sur le terrain dans le cadre de leurs fonctions. La liste des tués et des blessés ne fait que s'allonger de jour en jour et ce n'est pas la menace terroriste qui pointe son nez en Tunisie qui va améliorer les choses. Les membres des fores de l'ordre souffrent de la négligence de l'Etat et se retrouvent progressivement dans une situation où ils ont de plus en plus de difficultés à mener à bien leurs missions. C'est ce qu'assure Imed Belhaj Khelifa, porte-parole de l'Union nationale des syndicats des forces de sûreté. Par ailleurs, il n'a cessé de mettre en garde contre la politisation de la cause des policiers tunisiens. Selon leur syndicat, les membres des forces de l'ordre vivent en situation de précarité, ils sont sous payés, n'ont pas de protection sociale et sont constamment confrontés au danger. Le plus grave étant, selon eux, l'inertie de l'Etat et l'apparente surdité des instances dirigeantes à leurs revendications. Ceci montre que la classe politique tunisienne ne semble pas être consciente de l'importance du rôle que peuvent jouer les forces de l'ordre. C'est d'ailleurs ce constat qui fait que les représentants du syndicat des forces de sureté ne cessent de marteler que le temps des belles paroles et des déclarations d'intention est révolu, que l'heure est venue de passer à la concrétisation sur le terrain. On peut comprendre la frustration des forces de l'ordre quand on voit l'usage « politicien » qui avait été fait, en février dernier, de la mort tragique de Lotfi Zar, policier décédé dans l'exercice de ses fonctions. D'autres considérations font craindre le pire aux membres des forces de l'ordre. Ces derniers se sont plaints des nominations qui ont été effectuées au sein de leur ministère de tutelle, celui de l'Intérieur. Des nominations qui ne sont pas basées sur des critères objectifs, selon eux, mais plutôt sur des considérations partisanes. Ils évoquent également la révocation non justifiée de plusieurs hauts cadres du ministère de l'Intérieur, malgré leur compétence et leur expérience. Certains de ces cadres révoqués ont obtenu des décisions de justice qui leur accordent le droit d'être réintégrés dans leurs fonctions. Ils attendent toujours… Les récents événements de Jebel Chaâmbi apportent, douloureusement il est vrai, de l'eau au moulin du syndicat national des forces de l'ordre. La population tunisienne a pu se rendre compte des réels dangers auxquels font face les membres de la sûreté nationale et de l'armée. La population a également pu se rendre compte que les policiers tunisiens sont sous équipés et qu'ils mettent leurs vies en danger à chaque opération. Il est vrai que la vue d'un jeune homme de 19 ans qui a perdu la jambe et qui ne demande qu'à revenir sur le terrain pour défendre son pays fait réfléchir. Dans ce contexte, il faut noter qu'un très large pan de la société tunisienne soutient ses forces de l'ordre aussi bien dans leur combat contre le terrorisme que dans leurs revendications professionnelles. Ils sont également soutenus par plusieurs associations de la société civile tunisienne et par une majorité de partis politiques. Le blocage concernant la mise en place d'une police républicaine semble venir des instances dirigeantes du pays. Nul doute que la réforme du secteur sécuritaire tunisien ne se fera pas en un jour et exigera des efforts de longue haleine, mais il est tout à fait légitime que les forces de l'ordre en demandent au moins le début, ne serait ce qu'en signe de bonne volonté. Les conséquences de ces négligences peuvent être dramatiques pour notre pays. La police symbolise la présence de l'Etat et incarne l'une de ses principales missions, la protection des citoyens. Comme l'avait fait très justement remarquer Samir Dilou, il est vain d'espérer organiser des élections dans un pays dépourvu de sécurité. En étant conscients des réalités et des revendications des membres des forces de l'ordre, on participe à paver le chemin de la transition démocratique par laquelle passe la Tunisie. La mise en place d'une police républicaine est une condition sine qua none pour la réalisation des objectifs de la révolution. La réforme de la police et du système sécuritaire a été l'une des promesses de campagne de nombre de partis politiques avant les élections du 23 octobre, force est de constater aujourd'hui que pas grand chose n'a été fait dans ce domaine si sensible pourtant. Pendant ce temps là, l'hécatombe continue à Jebel Chaâmbi.