La présence d'Ennahdha au gouvernement, un sacrifice pour l'intérêt national ? C'est ce que veut faire croire, en tout cas, le leader islamiste Rached Ghannouchi. Compte tenu du poids politique du parti aux législatives et de la maigre différence de voix, par rapport à son principal rival, Ennahdha avait droit à plus et aurait dû être mieux représentée. C'est encore ce que veut faire croire Rached Ghannouchi. Mais la réalité est tout autre et la partie cachée de l'iceberg (ou du gouvernement) montre une présence bien plus confortable du parti islamiste que ce que l'on veut bien nous faire croire. Le gouvernement de Habib Essid est un gouvernement issu des élections remportées par les principaux rivaux d'Ennahdha. Un gouvernement qui devait réparer les torts causés par une gestion calamiteuse d'Ennahdha et de ses alliés, au pouvoir. Mais au sein de ce gouvernement, Ennahdha est partout. De la présidence du gouvernement, aux ministères et aux secrétaires d'Etat, le parti de Rached Ghannouchi a veillé à déposer son empreinte avant de pouvoir accorder la moindre confiance. Avec un chef de gouvernement ayant été l'un des conseillers de Hamadi Jebali, ancien secrétaire général d'Ennahadha, la partie semblait gagnée d'avance. Officiellement, Ennahdha dispose d'un ministère, celui de l'Emploi et de la Formation professionnelle, confié à Zied Laâdhari, une des rares figures du parti à ne pas avoir souffert de sa mauvaise presse. Officiellement, le parti a dispose encore de trois secrétaires d'Etat : Boutheina Ben Yaghlane, Amel Azzouz et Najmeddine Hamrouni. Finances, Coopération internationale et Etablissements hospitaliers, mais tout ceci reste peu et plutôt timide dit-on. En réalité, Ennahdha a plus d'un tour dans son sac et garde d'autres membres du gouvernement bien, au chaud, sous son aile. Tel est le cas du très controversé Néjim Gharsalli, ministre de l'Intérieur. Officiellement indépendant, Néjim Gharsalli est défendu bec et ongles par les membres du parti islamiste, dont Walid Bennani. Très peu connu pour sa discrétion et son sens de la retenue, Bannani n'a cessé d'affirmer que le nom de Gharsalli n'a pas été proposé par Ennahdha (on veut bien le croire), et qu'aucune autre personnalité originaire de la ville de Kasserine n'aurait pu être suffisamment qualifiée pour occuper ce poste. Une des raisons pour lesquelles le très controversé Gharsalli a été reconduit de la première équipe d'Essid à la deuxième. Mais Gharsalli n'est pas le seul. D'autres ministres, dits indépendants, ont aussi occupé des postes clés au sein d'anciens gouvernements de la Troïka. Tel est aussi le cas de Néji Jalloul. Ce cadre de Nidaa Tounes qui, après avoir longtemps tiré à boulets rouges sur le parti Ennahdha, a fini par se laisser amadouer en disant, à qui veut bien l'entendre, que le parti islamiste a bien changé. Ce serait même grâce à Nidaa Tounes qu'Ennahdha a réussi à retrouver ses racines « tunisiennes » et à faire ami-ami avec les valeurs de la société tunisienne, si chèrement prônées par le parti de BCE. Cette présence, très peu timide en réalité, est certainement, l'une des raisons qui ont fait qu'Ennahdha a voté la confiance au gouvernement de Habib Essid, après l'échec cuisant récolté par la première version de son équipe. Mais parlons-en de cette confiance, récoltée grâce à un vote record au Parlement. 166 voix ont été accordées à l'équipe de Habib Essid. Rien que ça ! Par ailleurs, aucun député d'Ennahdha n'a voté contre l'équipe gouvernementale lors de la plénière du jeudi. Seuls trois députés se sont abstenus de donner leurs voix. Dans les faits, le gouvernement n'aurait jamais pu passer sans les votes des 58 élus d'Ennahdha, soit près du tiers des votes de confiance qui lui ont été accordés. Mais Ennahdha a décidé de voter pour. Autant dire que le parti de Rached Ghannouchi en était bien content. Autant dire que Rached Ghannouchi lui-même en était bien content. Les jeux de la politique peuvent être bien déroutants pour l'électeur naïf qui croit en ce qu'on lui promet. Pour Nidaa Tounes, l'ennemi d'hier est devenu l'allié chéri d'aujourd'hui. Cet allié qu'on critiquait il n'y a pas si longtemps et qu'on s'aventure, aujourd'hui, à en redorer le bilan. Mais les voies de la politique sont impénétrables ! Après son exercice calamiteux au pouvoir, Ennahdha a réussi à se retrouver une place bien au chaud. Non que le parti ait bien changé, bien au contraire, les méthodes qu'il utilise prouvent qu'il n'en est rien. Mais Rached Ghannouchi a réussi à dénicher un deal bien juteux. Un pacte confortable qui lui permet de se faire blanchir et réhabiliter…pour un bon moment encore…