Lors de son interview diffusée jeudi dernier sur la chaîne nationale, le président de la République avait évoqué l'idée d'un gouvernement d'union nationale, lançant ainsi le débat et suscitant des réactions mitigées des différents partis de la place. Depuis, les déclarations fusent de toutes parts. Entre approbation et refus, la scène politique est en ébullition. L'idée que Habib Essid serait sur la sellette, ne datait pourtant pas d'aujourd'hui. Depuis un bon moment déjà, les observateurs s'attendaient à un changement imminent à la tête du gouvernement. Alors, partira, ou partira pas ? Comme attendu, l'initiative de former un gouvernement d'union nationale a fait grand fracas et a entrainé une déferlante de communiqués et de déclarations. Première réaction de Habib Essid : le chef du gouvernement choisit d'endosser le rôle de l'homme d'Etat responsable qui fait primer l'intérêt du pays sur le sien : « Si l'intérêt du pays nous dicte de partir, nous partirons », dira-t-il au micro de Wassim Ben Larbi, au lendemain de la diffusion de l'interview du président de la République. Dans le même ordre d'idée le chef du gouvernement explique que ce ne serait pas la fin du monde s'il présentait sa démission et que personne n'était indispensable. Et de renchérir que la proposition de Béji Caïd Essebsi était légitime et que ses prérogatives lui permettaient de présenter une semblable initiative. Depuis cette déclaration, on a vu Habib Essid poursuivre ses activités sans jamais revenir sur cette proposition et sa démission fait l'objet de nombreuses spéculations.
Le mouvement Ennahdha a salué cette initiative. Son chef, Rached Ghannouchi, explique que celle-ci a permis de rétablir l'équilibre de la scène politique. Quant à une éventuelle démission de Habib Essid, Ghannouchi a précisé qu'Ennahdha l'a soutenu, compte tenu de sa persévérance et de son intégrité. Mais le plus intéressant c'est qu'il a affirmé que le mouvement « continuera à le soutenir tant qu'il bénéficie de la confiance du président de la République et de Nidaa Tounes ». Rached Ghannouchi annonce par ailleurs la couleur en déclarant qu'Ennahdha assume une part de l'échec, mais proportionnellement à sa participation au gouvernement : « Si nous devons assumer une plus grande part, il faut que notre participation soit plus grande », avait-il relevé.
Lundi, Nidaa Tounes tient une série de réunions, le temps est aux négociations avec les partis de la coalition gouvernementale, notamment Afek et Ennahdha. A ces entrevues sont présents des ministres du gouvernement Essid. Ministres qui statueront sur l'éviction de leur chef actuel. Plus tôt dans la journée, Béji Caïd Essebsi et Habib Essid se sont entretenus et ont examiné « la proposition d'un gouvernement d'union nationale » et « la nécessité de garantir toutes les raisons de son succès », d'après un bref communiqué de la présidence. On s'attendait à ce que le chef du gouvernement présente sa démission. Il n'en avait visiblement pas l'intention.
Dans la foulée, Lotfi Zitoun conseiller politique de Rached Ghannouchi, demande à Habib Essid de démissionner. Et c'est au tour de Yassine Brahim, dirigeant d'Afek Tounes et ministre du Développement et de la Coopération internationale, d'annoncer que le nouveau gouvernement sera mis en place d'ici quelques semaines. Mais c'est tard dans la soirée qu'un communiqué du comité politique de Nidaa Tounes a tranché dans le vif : Nidaa lâche Habib Essid, invoquant la nécessité que le nouveau gouvernement ait à sa tête une nouvelle personnalité et bénéficie d'un large consensus. Exit Habib Essid ! Pratiquement tous les ministres Nidaa étaient présents à cette réunion…
Au sein des partis de l'opposition on hausse le ton. Hamma Hammami, porte-parole du Front populaire a indiqué que le président de la République a reconnu, de par son initiative, que le pays connait une crise et à demi-mot l'échec. « Le Front Populaire estime que les causes de la crise sont dues au mode de gouvernement fondé sur les calculs partisans qui ont conduit à des luttes au sein de la coalition et des partis au pouvoir eux-mêmes portant ainsi atteinte aux intérêts du pays ». Et de souligner que le plus important serait d'examiner les causes de l'échec au lieu de débattre des formes que doit prendre le nouveau gouvernement, « Le gouvernement actuel a échoué sur tous les niveaux. A travers son initiative, le président de la République voulait faire porter la responsabilité de cet échec à toutes les parties. Les vrais responsables sont, désormais, la présidence de la République, la coalition gouvernementale et le gouvernement ». Mercredi, une réunion élargie entre les forces de l'opposition démocrate représentées par le FP, Al Joumhouri, le Mouvement du peuple, Al Massar et le parti Socialiste débattra de l'initiative du président et poursuivra les négociations afin d'aboutir à une position commune consensuelle, apprend-on.
Dans le camp de Marzouki, on tire à boulet rouge sur Béji Caïd Essebsi et son initiative. Al Irada estime que la proposition de la formation d'un gouvernement d'Union nationale ne relève pas des prérogatives constitutionnelles du président de la République. Un communiqué d'Al Irada insinue que M. Caïd Essebsi cherche à imposer un régime présidentiel en dehors des dispositions de la Constitution, tout en assurant que cette proposition vise à camoufler la crise au sein du gouvernement. Et on continue par accuser le chef de l'Etat de chercher à fuir ses responsabilités dans la mesure où ladite proposition risque de perturber le bon déroulement de l'action gouvernementale.
Dans les faits, que stipule la Constitution en cas de remplacement du chef du gouvernement ? Cinq cas sont prévus par le texte législatif : La vacance définitive du poste suite à un fait imprévu, en fait partie, mais ce n'est pas le propos ici. L'article 98 dispose que le chef du gouvernement demande à l'Assemblée un vote de confiance sur la poursuite de l'action du gouvernement. Si l'Assemblée ne renouvelle pas sa confiance, le gouvernement est réputé démissionnaire. Le même article dans son paragraphe premier dispose que le chef du gouvernement présente sa démission par écrit au président de la République qui en informe le président de l'Assemblée des représentants du peuple. Dans les deux cas, le président de la République charge la personnalité la plus apte pour former un gouvernement. Il s'agit en l'occurrence, d'après l'article 89, du candidat du parti politique ou de la coalition électorale ayant obtenu le plus grand nombre de sièges au sein de l'Assemblée à l'issue des élections. Si le délai d'une semaine est expiré sans parvenir à la formation d'un gouvernement, ou si la confiance de l'Assemblée n'est pas accordée, le président de la République engage des consultations dans un délai de dix jours avec les partis politiques, les coalitions et les groupes parlementaires, en vue de charger la personnalité jugée la plus apte, en vue de former un gouvernement dans un délai maximum d'un mois.
L'autre cas consiste en une motion de censure provenant de l'Assemblée. Au moins un tiers des députés peuvent déposer un retrait de la confiance au gouvernement. Cette demande doit présenter un candidat en remplacement du chef du gouvernement. Un même vote doit approuver la motion de censure et la nouvelle candidature. Dernier cas (article 99), le président de la République peut demander à l'Assemblée un vote de confiance sur la poursuite de l'action du gouvernement, deux fois au maximum durant tout le mandat présidentiel. Si l'Assemblée ne renouvelle pas sa confiance, le gouvernement est réputé démissionnaire.
Habib Essid est plus que jamais sur la sellette. Lâché par Nidaa Tounes, critiqué de toutes parts, il ne fera vraisemblablement pas long feu. Qui sera son successeur ? Négociations et concertations vont bon train et ne font que commencer. Béji Caïd Essebsi n'aurait pas présenté son initiative sans avoir plusieurs coups d'avance. Les contours du nouveau gouvernement d'union nationale se dessineront dans les jours, voire dans les semaines à venir. Entre temps, les jeux sont ouverts et chacun essayera de rebattre ses cartes…