Au nom de la lutte antiterroriste, n'est-on pas en train de creuser davantage le fossé entre riches et pauvres et d'encourager la fraude et l'évasion fiscales? Est-ce avec plus d'injustice sociale que l'on peut faire face à cette hydre ? Ces derniers jours, les deux principaux protagonistes du moment, Habib Essid et Houcine Abassi, dialoguent, la plupart du temps, par médias interposés. Ce qui semble nourrir des dissensions entre les deux hommes. Apparemment, leurs relations sont en passe de se refroidir, et même les dernières entrevues n'ont pas réussi à les réchauffer. D'ailleurs, ces courtes réunions étaient vues, par plusieurs observateurs, comme étant une simple formalité à remplir, de part et d'autre, et un simulacre de bonne volonté et d'attachement au dialogue, qui s'avère en réalité un dialogue de sourds. Cette difficulté à s'entendre serait aggravée par les dernières mesures exceptionnelles prises par la ministre du Tourisme au profit des hôteliers. Les conditions d'une paix sociale Tout laisse à penser que le courant ne passe plus entre le gouvernement et la centrale syndicale. Cette réalité se dégage, tout d'abord, à travers leurs déclarations respectives où chacun cherche à imputer la responsabilité de la crise et du blocage des négociations à l'autre. Autrement dit, chacune des deux parties veut gagner la confiance de l'opinion publique nationale et la mettre de son côté. Alors, est-on en train d'assister à une guerre de positionnement non déclarée? C'est ce que nous révèle la réalité. L'Ugtt ne cache pas son mécontentement à l'égard du chef du gouvernement qu'elle accuse de rapporter des contre-vérités, en déclarant, lors d'une émission télévisée, qu'il était convenu avec la centrale syndicale que les augmentations salariales et les promotions seraient limitées au secteur de l'enseignement secondaire et que les autres secteurs en seraient exclus. Ce qui a courroucé encore plus l'Ugtt, c'est, de toute évidence, la qualification, par Habib Essid, de terroristes les parties qui étaient derrière les mouvements de grève. Enfin, la décision, relative aux prélèvements sur les salaires des grévistes, vient verser de l'huile sur le feu, étant donné que le syndicat y voit une mesure punitive et une violation d'un accord avec le gouvernement, prévoyant la résolution de la question au sein d'une commission mixte qui n'a donc pas encore tranché en la matière. Et quand on se rappelle les grèves dans le secteur de la santé ainsi que le boycottage de la prochaine rentrée scolaire dans celui de l'enseignement de base, on réalise l'ampleur de la crise et l'urgence d'un dialogue national pour essayer de résoudre toutes ces difficultés et d'assainir le climat social. Seulement, il ne faudrait pas que ce dialogue, qui devrait être constructif et non pas formel, s'arrête à ces questions, mais qu'il les dépasse, en prenant une dimension économique et sociale. C'est dans un cadre aussi élargi que l'on pourrait poser la question de la paix sociale et la négocier sur des bases réalistes. C'est en impliquant toutes les parties sociales et politiques qu'un tel débat pourrait être lancé et qu'une solution serait susceptible d'être envisagée. Donc, cette paix convoitée suppose que l'Utica contribue, au même titre que l'Ugtt , à résorber la crise, en incitant ses adhérents à payer leurs impôts et en aidant l'Etat à dévoiler les hommes d'affaires impliqués dans la contrebande. Autrement dit, sans justice sociale, où employeurs et employés seraient égaux devant le fisc, on ne peut pas espérer une paix sociale durable. Malheureusement, cet espoir miroité vient d'être étouffé par la dernière décision du gouvernement en faveur du secteur touristique à la suite de l'attentat terroriste de Sousse qui, apparemment, sert de contexte à un prétexte. Et là, les frictions entre le gouvernement et la centrale syndicale ne sont plus provoquées par de simples déclarations, mais par des faits tangibles, ce qui participe à l'aggravation de la situation. Parmi cette série de mesures exceptionnelles prises en faveur des hôteliers, il y a lieu de citer, notamment, le report du remboursement des échéances des crédits, prévu pour l'année en cours, à la fin de l'année 2016, leur replanification en fonction de la capacité de paiement de l'établissement touristique, l'octroi de nouveaux crédits remboursables sur sept ans, y compris une période de grâce de deux ans, la réduction de la TVA de 12% à 8% et la reprogrammation de la dette fiscale envers la Steg et de la Sonede. Une crédibilité menacée Volet social, les mesures les plus importantes sont la prise en charge par l'Etat de la couverture sociale des institutions touristiques qui maintiendront leurs employés en activité, ainsi que l'octroi d'une prime de chômage technique, sans exiger toutefois l'arrêt définitif des activités de l'établissement pour pouvoir en bénéficier, et l'exonération des pénalités de retard. Cette avalanche d'avantages fait dire au constitutionnaliste Jawhar Ben Mbarek que «la ministre du Tourisme et son gouvernement planifient une opération de fraude et de pillage des deniers publics dans des conditions sociales difficiles». «Qui croirait, dorénavant, que l'Etat est incapable de satisfaire ses engagements vis-à-vis des instituteurs, des enseignants du secondaire, des agents de la santé et du transport, et les revendications de l'ensemble de la classe moyenne appauvrie et des régions marginalisées, alors qu'il dépense généreusement l'argent du peuple en faveur des banques et des hôteliers» ? Donc, selon le juriste et plusieurs autres analystes, le gouvernement nuit gravement à son image, en se discréditant lourdement, étant donné qu'il n'y a pas longtemps, il s'en est pris aux syndicats pour avoir revendiqué des augmentations de salaires et l'amélioration des conditions de travail dans un contexte économique très défavorable. Et contrairement à cet appel réitéré à l'austérité, le voilà qu'il attribue des avantages colossaux à une catégorie sociale cossue et, qui plus est, dont la participation à l'effort fiscal collectif est fort modeste. Des largesses politiques Cette perte de crédibilité auprès de l'opinion publique nationale et des partenaires sociaux, particulièrement l'Ugtt, pourrait être lourde, voire très lourde de conséquences. Ce serait le corollaire des largesses constantes et démesurées au profit des fortunés et l'austérité imposée aux infortunés. En effet, après les «dons» bancaires, dissimulés en crédits, qui ne sont jamais remboursés et qui ont été accordés à certains «hommes d'affaires», qui ne sont toujours pas identifiés, vu qu'on refuse jusqu'à maintenant de divulguer les résultats de l'audit, demandé par la BM, des trois banques publiques, qu'on veut recapitaliser avec l'argent des contribuables pour les céder ensuite au capital étranger, c'est au tour des hôteliers de bénéficier de ces libéralités. Et c'est au peuple d'en payer les frais comme à l'accoutumée. En d'autres termes, le bonheur des uns passe par la misère des autres. Au nom de la lutte antiterroriste, n'est-on pas en train de creuser davantage le fossé entre riches et pauvres et d'encourager la fraude et l'évasion fiscales? Est-ce avec plus d'injustice sociale que l'on peut faire face à cette hydre? C'est bien cela l'approche que compte appliquer le gouvernement dans le cadre de la stratégie antiterroriste qu'il va mettre en place prochainement? Ce n'est certainement pas avec de telles méthodes que l'on peut éradiquer le terrorisme, ni apaiser l'atmosphère sociale qui constitue la condition sine qua non de cette opération ardue et périlleuse? Ce nouvel élément qui vient s'ajouter à tant d'autres contribuerait à attiser la tension entre le gouvernement et l'Ugtt. Et dans ce cas, la médiation du président de l'ARP et de celui de la Ltdh entre les deux parties serait peine perdue...