Comment jugez-vous la situation économique et sociale actuelle dans le pays ? De manière claire, directe et responsable, la situation économique et sociale dans le pays est difficile, parfois même grave et menaçante dans des secteurs stratégiques qui devraient être normalement les locomotives du redressement et de la relance économiques, à l'instar des phosphates, du tourisme, de l'exportation et de l'investissement. L'évolution des indicateurs économiques continue à être inquiétante, l'environnement des affaires se dégrade de plus en plus et les mouvements de grève et de protestations continuent, pire encore, passent la vitesse supérieure de manière exagérée, débordante, voire anarchique, s'étendant à des secteurs moteurs à effets générateurs sur toutes les catégories de la population, tels l'enseignement et le transport. Cette situation constitue certes la résultante de quatre longues années d'hésitation et d'attentisme liées à une absence manifeste d'intérêt pour les questions d'ordre économique et surtout de développement régional, de promotion des investissements et de création d'emplois ainsi qu'un laisser-aller inquiétant qui a favorisé le développement sans précédent du grave fléau de l'économie parallèle et de la contrebande. Avec l'ampleur et les proportions prises par ce phénomène qui dépassent dans certains cas les 50, 60% et plus du volume d'activités, on assiste à une déstructuration de l'économie nationale, une prolifération des marchés parallèles et à de lourdes évasions fiscales privant la nation d'importantes ressources et lésant les entreprises organisées et structurées ainsi que les catégories sociales qui s'acquittent de leurs devoirs de manière responsable et citoyenne. Je n'ai personnellement cessé depuis le lancement, en 2011, de notre jeune Centrale patronale la «Conect» d'appeler à l'ouverture d'un nouveau dialogue économique et social parallèlement au dialogue politique et à la mise en place d'une stratégie concertée de relance économique rapide et d'un développement intégré et inclusif au profit de toutes les catégories sociales, des sans-emploi et de l'ensemble des régions. Les préoccupations d'ordre politique, l'absence de continuité dans l'action des nombreux gouvernements provisoires successifs qu'a connus le pays et les tentatives à caractère nostalgique, remontant à un système révolu, d'accaparation et de monopolisation de toute forme de dialogue de certaines parties ont bloqué toutes les initiatives et sont largement responsables de la situation que vit aujourd'hui le pays. A la suite de l'organisation des élections et l'installation d'un nouveau Gouvernement, la situation devrait-elle changer ? Effectivement, on s'attendait à un effet immédiat sur l'activité économique et à un retour rapide au travail sérieux et soutenu qui constitue la seule solution qui s'offre à nous réellement pour relever les nombreux et grands défis et répondre aux attentes des citoyens et des régions. Nous devons tous comprendre que le pays n'a pas les moyens nécessaires pour satisfaire les différentes demandes malgré leur légitimité. La solution rationnelle réside donc dans la création de ces moyens par le travail productif et la mobilisation générale autour d'objectifs réalistes et de priorités établies dans la transparence, la bonne gouvernance et l'équité nécessaire. La réalité que nous vivons ces dernières semaines est tout autre ! Avec les perturbations du travail, les grèves ravageuses qui s'étendent chaque jour à de nouveaux secteurs et entreprises et les protestations exagérées, nous risquons de rater le bon départ pour cette nouvelle phase qu'entame le pays et de s'engager dans une spirale de surenchères au niveau des demandes et des exigences des secteurs et, plus grave encore, des régions. Nous devons tous être conscients du danger que présente ce grave tournant et réaliser que les protestations et les grèves ne peuvent nullement constituer la solution mais plutôt le problème ! Une chose est cependant certaine. Au moment où on s'attendait au lancement de messages positifs aux investisseurs locaux et étrangers, c'est l'inverse qui se produit. Nous ne pouvons de ce fait s'attendre à une reprise rapide de l'investissement local ou étranger dans des régions et des secteurs qui vivent des revendications continues et des situations instables ! Comment voyez-vous l'issue ? Face aux graves menaces que présente ce tournant inattendu, des mesures urgentes s'imposent. Elles doivent concerner trois niveaux : Les organisations syndicales et patronales, les employés et les chefs d'entreprise La société civile Le Gouvernement Le Gouvernement, malgré toute sa grande volonté, ne peut à lui seul faire face à la situation, d'autant que son approche ne doit surtout pas être fragmentaire mais doit s'insérer dans le cadre d'une stratégie globale et cohérente fondée sur des choix et des priorités établies sur la base de données, d'analyses et d'une synergie nécessaire entre les secteurs et les régions. Cette stratégie doit être soutenue par l'ensemble des organisations syndicales du pays qui sont appelées à changer d'attitude en prenant en considération les vraies exigences du monde actuel et de la compétition internationale et les nouvelles règles qui les régissent. Nos organisations syndicales ont un rôle historique d'accompagnement, d'encadrement et de responsabilisation de leurs adhérents qu'elles doivent pleinement assumer, surtout que de nos jours la défense des droits des travailleurs passe inévitablement par la défense, la protection et la promotion du travail. Avec les mutations vécues dans le monde entier, le marché du travail ne peut plus rester fermé. Il est désormais ouvert à la concurrence internationale. Les investissements et donc les opportunités de travail fuient les pays qui n'ont pas saisi cette réalité. C'est ce que nous vivons dans notre pays depuis 2011 avec les fermetures de nombreuses entreprises et leurs départs vers des destinations concurrentes ! L'UGTT, qui constitue un acquis pour l'ensemble des Tunisiens et non seulement pour les salariés, est appelée à jouer un rôle de premier plan dans ce domaine et à arrêter ce fléau ravageur. Je saisis cette occasion pour lancer un appel pour l'ouverture immédiate d'un dialogue direct et responsable entre toutes les organisations syndicales et l'ensemble des organisations patronales sous l'égide du Gouvernement afin d'arrêter les mesures adéquates pour sortir le pays de cette grave situation. De même, la société civile et les médias sont appelés à consolider davantage leurs actions de sensibilisation et de mobilisation afin de mettre fin à ces dérapages inquiétants qui affectent les intérêts de tous les Tunisiens, y compris ceux de nos enfants et de nos élèves. Quant au Gouvernement, il est appelé à introduire les réformes nécessaires avec la célérité requise en osant affronter les phénomènes de réticence et de rejet par le dialogue, la responsabilisation et l'intégration. C'est de cette façon qu'on réussirait à lutter contre l'évasion fiscale et l'économie informelle et non par l'exclusion et la répression. A côté de ces actions concernant l'informel et la réforme fiscale, il y a lieu également d'activer la promulgation du nouveau code d'investissement qui doit être à la hauteur des attentes et des exigences surtout au niveau régional. Avec plus d'équité et de fermeté dans le respect de la loi, les moyens de l'Etat connaîtraient certainement une amélioration sensible dont le pays a grandement besoin. Tout reste toutefois lié au changement inévitable de nos attitudes et de nos comportements afin d'assurer un nouvel environnement économique et surtout social incitatif et attractif dans notre pays.