Par Lassaad Ben AHMED La Tunisie, qui a toujours investi dans l'éducation, le savoir et les ressources humaines, est sur le point de changer de stratégie pour donner la priorité à l'investissement dans l'armement. C'est une priorité qui ne figurait guère, jusqu'à une date peu lointaine, parmi ses préoccupations, vu le choix qu'elle a fait depuis l'indépendance de ne pas s'impliquer dans des conflits militaires ni de s'ingérer dans les affaires internes d'autres pays. Or aujourd'hui, le pays vit un nouveau contexte, dont la Tunisie n'a pas fait le choix et il se trouve qu'elle n'a pas d'alternative, elle doit mener sa guerre contre le terrorisme jusqu'au bout. Le revirement dans les priorités et les choix s'est illustré dans le projet de la loi de finances complémentaire, dont les grandes lignes ont été présentées, jeudi, par le ministre des Finances et qui sera examinée en séance plénière, mardi prochain, à l'Assemblée des représentants du peuple. Le texte propose une augmentation importante des budgets des ministères de l'Intérieur et de la Défense de 306 millions de dinars pour l'exercice 2015. Et sans le moindre doute, ce montant sera revu à la hausse dans les budgets des prochaines années au détriment des fonds alloués au développement. Le niveau de ces financements dépendra de l'évolution des événements de cette guerre, dont beaucoup de spécialistes considèrent qu'elle est de longue haleine. La somme annoncée dans le projet de la LFC est relativement faible, mais prise dans le contexte tunisien — économie en crise et revenus en baisse —, cette action, indispensable dans la guerre contre le terrorisme, risque d'être faite au détriment d'autres priorités relatives au développement, à la création d'emplois et à la relance économique. Et, bien entendu, ce n'est pas le seul tribut. Le coût de la guerre ne se limite pas uniquement aux fonds mobilisés pour équiper les troupes, il concerne également l'énorme manque à gagner dû à cette guerre, notamment au niveau économique et social. Ceci, sans tenir compte de la nature de la guerre imposée à la Tunisie. Le terrorisme étant tel un mercure, insaisissable, imprévu et par-dessus tout transfrontalier. D'où l'obligation d'un soutien substantiel des grandes puissances, qui, elles, disposent de grands moyens et sont habituées à mener des guerres en tous genres. La Tunisie est en train de marquer des points sensibles dans cette guerre que ce soit sur le terrain ou encore sur le plan législatif et organisationnel. Mais cela ne constitue qu'un juste début. Cette priorité sécuritaire, avancée déjà comme condition sine qua non à l'investissement et à la relance économique, ne devrait pas placer au second plan les priorités absolues revendiquées par les populations en quête de prospérité et de dignité, soit le développement régional, la création d'emplois et la lutte contre la pauvreté qui s'inscrit dans la guerre contre le terrorisme. Ceci, sans oublier l'importance de l'encadrement familial des jeunes pour éviter leur endoctrinement par d'obscures forces rétrogrades. Ce sont là, d'ailleurs, les fronts arrière de la guerre contre le terrorisme qui, une fois atténués, deviendraient des remparts contre le terrorisme, aussi bien au niveau du recrutement que de sa prolifération. C'était, d'ailleurs, le cas, des décennies durant, lorsque la Tunisie avait misé sur l'éducation, la culture et le développement humain. Mais maintenant, la donne est en train de changer pour imposer à la Tunisie de nouveaux choix qu'elle n'a pas fais de son propre gré. Le phénomène du terrorisme a des racines universelles. Et bien que ses enjeux soient clairs et connus de tous, il existe plusieurs zones d'ombre quant à sa prolifération, son financement et des parties qui lui apportent soutien sur plusieurs fronts. D'ailleurs, il n'aurait pas eu de chance de frapper à nos portes sans une certaine complicité intérieure, mis à part le contexte de marginalisation et de pauvreté. Cela fait que la lutte, à ce niveau, dépasse la Tunisie et nécessite une grande coopération internationale et une harmonisation de l'action sur tous les fronts.