Des recherches lancées pour retrouver 23 migrants tunisiens disparus en mer    Le taux d'inflation annuel stable à 2,4% dans la zone euro    Tunisie Météo : pluies et hausse légère des températures    Sur instructions du Président de la République : Le projet d'amendement de l'article 411 sera soumis incessamment à l'ARP    Maisons des jeunes : Nos jeunes méritent le meilleur    Ministère du Tourisme-Ministère de l'Emploi : Près de 2.700 offres d'emploi confirmées dans plusieurs régions    Projet d'interconnexion électrique «Elmed» Tunisie-Italie : Pour réduire la dépendance énergétique de la tunisie    Compter sur soi, ça rapporte    Poulina Group Holding: L'AGO propose un dividende de 0,360 DT par action    Ligue des champions | Finale aller – EST-Al Ahly (Ce soir à Radès – 20h00) : Avec les meilleurs atouts en main !    Coupe de Tunisie | Huitièmes de finale – Matches avancés : Le ST, le CA et l'ASM rassurent    AHLY SFAXIEN-ESS (14H30) : La Coupe pour se refaire une santé    DECES : Docteur Abdelfatteh MRABET    Justice : 12 prévenus renvoyés devant le tribunal    L'Académie militaire de Fondouk Jedid : Un nouvel élan de modernisation et d'excellence    1ère édition des journées internationales du Médicament générique et du Biosimilaire : Pour un meilleur accès aux médicaments génériques    Vision+ : Chronique de la télé tunisienne : La télévision dans tous ses états    Galerie d'Art Mooja : Un nouveau souffle artistique à Mutuelleville    Vers un prolongement du règne de Kagame ? Le président rwandais se représente    Dattes tunisiennes: 717,7 millions de dinars de recettes d'exportation à fin avril    La Turquie en alerte : Tentative de coup d'état et vaste opération de répression    L'Espagne va reconnaitre l'Etat de Palestine à cette date !    Tunisie – Affaire du complot II : 12 accusés dont des dirigeants d'Ennahdha devant la justice    LTDH : non à la torture, non à la répression des libertés !    Le "lobbying" revient comme un boomerang : la Cour confirme les 3 ans de prison et l'amende d'un million de dollars    Nabeul : Démantèlement d'un réseau de trafic de drogue    Guerre en Ukraine: Situation actuelle (Ambassade d'Ukraine en Tunisie)    Symposium international 'Comment va le monde? Penser la transition' à Beit al-Hikma    16 banques Tunisiennes soutiennent le budget de l'Etat avec un prêt de 570 millions de dinars    CA : 5 billets par supporter pour le derby tunisien    Rencontre avec les lauréats des prix Comar d'Or 2024    Hechmi Marzouk expose 'Genèse Sculpturale' à la galerie Saladin du 18 mai au 23 juin 2024    Daily brief régional du 17 mai 2024: Des peines de huit mois de prison pour 60 migrants irréguliers subsahariens    Exposition «punctum» de Faycel Mejri à la Galerie d'art Alexandre-Roubtzoff: L'art de capturer l'éphémère    Ce samedi, l'accès aux sites, monuments et musées sera gratuit    Le Mondial féminin 2027 attribué au Brésil    Raoua Tlili brille aux championnats du monde paralympiques    Industrie du cinéma : une affaire de tous les professionnels    Mokhtar Latiri: L'ingénieur et le photographe    La croissance n'est pas au rendez-vous    Météo de ce vendredi    Basket – Pro A : résultats complets de la J2 play-out (vidéo)    Palestine : la Tunisie s'oppose aux frontières de 1967 et à la solution à deux Etats    Bank ABC sponsor de la paire Padel Hommes    76e anniversaire de la Nakba : La Tunisie célèbre la résistance du peuple palestinien    Nakba 1948, Nakba 2024 : Amnesty International dénonce la répétition de l'histoire    Urgent : Une secousse sismique secoue le sud-ouest de la Tunisie    Le roi Charles III dévoile son premier portrait officiel    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Rôle des acteurs de la société dans la refondation de l'Etat
Problématique et enjeux de la 22e session de l'Université d'Eté 2015 de l'association Mohamed Ali, dédiée à Abdelkader ZGHAL
Publié dans La Presse de Tunisie le 20 - 08 - 2015

Vers l'émergence du tiers secteur (secteur de solidarité)
Par Habib GUIZA*
1- Introduction
L'objectif principal de l'université d'été 2015 de l'association Mohamed Ali de la culture ouvrière est de réfléchir ensemble sur la refondation de l'Etat en apportant des réponses à la question essentielle dans la Tunisie d'aujourd'hui, quatre ans après la Révolution : de quel Etat la Tunisie a besoin pour réussir sa transition démocratique?
Le thème central de notre Université d'été sera donc cette refondation de l'Etat et de son mode de gouvernance démocratique en partenariat avec les acteurs de la société dans une approche tripolaire en établissant une distinction entre les concepts de coproduction et de coconstruction des politiques publiques
Le premier enjeu, c'est la pertinence du contexte tunisien caractérisé par la phase de transition pour construire la première démocratie dans le monde arabe ( quelle refondation de l'Etat : passage de l'Etat autoritaire à l'Etat stratège démocratique)
Le second enjeu, c'est la pertinence de l'émergence d'un Etat stratège partenaire des acteurs de la société dans une approche tripolaire (public / privé / et tiers secteurs)
Qu'est-ce que l'Etat stratège, quel partenariat dans une approche tripolaire et pas binaire comme c'est recommandé par les institutions financières internationales (BM, FMI etc.)?
Quel rôle des trois acteurs de la société dans la coproduction et la coconstruction des politiques publiques en partenariat avec l'Etat stratège?
Par coproduction, on fait référence à la participation des acteurs de la société civile et du marché à la mise en œuvre des politiques publiques et à réserver celui de coconstruction pour parler de leur participation à la définition ou à l'élaboration des politiques publiques elles-mêmes
La démocratisation et l'amélioration des politiques publiques à l'avenir passe par la participation des acteurs collectifs et individuels du marché et de la société civile à leur création et à leur application.
Le troisième enjeu : quel rôle pertinent du tiers secteur dans la refondation de l'Etat stratège? et quel rôle peut-il jouer au même titre que les deux autres acteurs pour la conception et la mise en œuvre des politiques publiques? et quelles reformes juridiques, financières et politiques pour qu'il joue ce rôle et quels plates-formes et réseaux pour l'efficacité de son rendement?
Il s'agit d'une nouvelle réflexion innovante d'un niveau mondial sur le nouveau rôle de l'Etat, son mode de gouvernance pour la construction d'un nouveau modèle de développement inclusif coconstruit et coproduit par l'Etat et ses trois partenaires au même niveau avec les mêmes prérogatives, à savoir public/privé /tiers secteur
2- La refondation de l'Etat : vers un Etat stratège-partenaire des acteurs de la société.
La révolution populaire qui a éclaté en Tunisie en 2011 signifie la rupture radicale avec les politiques et pratiques du régime avec son institution présidentielle, sa cour, son modèle de parti unique, son administration, son appareil sécuritaire, son système médiatique. L'ensemble de ces appareils a, des années durant, embrigadé le peuple tunisien, dilapidé ses potentialités, réprimé ses élites, brisé ses aspirations et pillé une part importante de ses richesses.
Un régime dont les bases ont été érigées depuis un demi- siècle. Un régime qui a laminé les fondements essentiels du régime républicain en instaurant le système de parti-Etat, en imposant un pouvoir personnel absolu sans limites ni contrôle et en instrumentalisant les systèmes judiciaire, législatif, médiatique et sécuritaire au service du pouvoir despotique.
Dans le processus révolutionnaire et au bout d'une courte période de flottement, de tiraillements et de chaos, l'option militaire — un temps envisagée — fut écartée et un consensus national s'est peu à peu imposé. Privilégiant la continuité des institutions et de l'Etat, les Tunisiens ont fait le choix d'accepter un exécutif provisoire (un chef d'Etat et un gouvernement) en attendant la mise en place d'une assemblée constituante légitimement élue.
Dans l'intervalle, le gouvernement provisoire s'est engagé à réaliser les réformes fondamentales nécessaires à la transition d'un régime despotique à un régime démocratique basé sur le respect des libertés, dans lequel le pouvoir de décision revient aux citoyens à travers leurs représentants élus librement, de façon démocratique et transparente.
Ainsi a été organisée l'élection d'une Assemblée constituante (23 octobre 2011) qui a élaboré la constitution promulguée le 27 janvier 2014.
La démarche exprime la volonté d'en finir avec un système marqué par l'autoritarisme, le paternalisme et l'archaïsme qui démobilisent, déresponsabilisent et infantilisent ; d'autre part, la marginalisation des régions intérieures du pays était comprise comme une conséquence de la centralisation excessive du système politique : seule une nouvelle Constitution permettrait un meilleur équilibre entre les pouvoirs et entre les régions ; enfin, la Constitution en vigueur était rejetée en bloc : son abolition symbolisait un nouveau départ.
Dans l'ordre social, diverses manifestations significatives de la jeunesse manifestent la volonté de faire éclater les carcans et de rompre résolument avec les normes et les codes du passé. Les rôles respectifs de l'Etat et du citoyen devaient changer radicalement dans le sillage de la Révolution.
Une refondation de l'Etat est impérative pour passer d'un Etat qui était marqué par l'autoritarisme, le paternalisme, la bureaucratie et le clientélisme vers un Etat stratège partenaire des acteurs de la société.
3- L'Etat stratège, partenaire des acteurs de la société civile
Quel rôle l'Etat sera-t-il appelé à jouer dans cette nouvelle configuration des acteurs économiques? Il est bien évident que les représentants de l'Etat sont mandatés — directement ou par le biais de leurs dirigeants — par les citoyens-électeurs et se trouvent par conséquent investis de pouvoirs particuliers. Ils représentent la légitimité démocratique et sont détenteurs de la force publique. Très souvent, cette position particulière a engendré des pratiques autoritaires voire abusives.
En abandonnant le découpage classique public/privé pour le remplacer par une configuration tripolaire, l'Etat renforce son rôle de stratège et cesse d'être un producteur en concurrence directe avec les autres opérateurs.
Ainsi, l'Etat stratège-partenaire assume la responsabilité du pilotage d'actions faisant l'objet d'un large consensus entre tous les acteurs. Son rôle consistera à animer les débats et les négociations dans un nouveau mode de gouvernance. A la place de la coercition, l'Etat stratège adoptera et favorisera le dialogue et le consensus. Il sera appelé à trouver un arbitrage entre des intérêts pas toujours compatibles.
Jusqu'à présent, l'Etat s'est souvent impliqué dans la mise en œuvre et ce pour diverses raisons : secteurs très porteurs, fortement capitalistiques, à rentabilité hypothétique... Son implication n'a pas été sans dégâts, en témoignent le nombre et l'ampleur des entreprises publiques déficitaires.
Il est vrai parfois pour des raisons économiquement non justifiées (politiques de recrutement, politiques de prix...), sans oublier l'inertie administrative ou encore certaines pratiques douteuses dans les passations de marché ou dans le choix des distributeurs-rentiers.
L'Etat stratège s'applique à conserver les fonctions stratégiques (steering) : pilotage, régulation, coordination, partage des ressources, contrôle, évaluation... et laisse les fonctions opérationnelles de la mise en œuvre des politiques publiques (rowing) aux trois autres acteurs : public, privé et tiers secteur. Il fait participer les acteurs précités de la société tant au moment de l'élaboration des politiques publiques (aspect institutionnel) que de leur mise en œuvre (aspect organisationnel).
Il est partenaire privilégié au-dessus des autres partenaires, son mode de gouvernance est partenarial en interaction avec le public, le marché et la société civile en dépassant le binaire classique( Etat, public, privé) pour une approche tripolaire tout en étant attentif au mode de régulation qui émerge à la manière d'un compromis auquel participent les valeurs et principes provenant de l'Etat (redistribution et équité), le marché (efficacité et compétition), et le tiers secteur (solidarité, réciprocité, don ...). Ainsi, chacun des trois secteurs apporte le meilleur de ce qu'il peut apporter, et l'Etat organise, coordonne ces apports et arbitre.
Cette approche tripolaire se base sur trois formes de régulation des services publics :
une régulation étatique, lorsque l'Etat confie la gestion et la dispensation des services d'intérêt public à des organismes publics ;
une régulation marchande, lorsque l'Etat confie la gestion et la dispensation des services d'intérêt public à des organismes privés à but lucratif ;
une régulation solidaire, lorsque l'Etat confie la gestion et la dispensation des services d'intérêt public à des organismes à but non lucratif
L'Etat stratège et démocratique est partenaire des trois acteurs tant au moment de la définition des politiques publiques (coconstruction) qu'à celui de leur mise en œuvre (coproduction).
Il anime des délibérations qui permettent à des groupes d'intérêts de dépasser leurs intérêts corporatistes pour contribuer à la définition et à la poursuite d'un intérêt plus général, ce qui peut se configurer avec la reconnaissance et la gestion des conflits.
Dans l'équilibre entre Etat, société civile et entreprises lucratives, seul l'Etat a la légitimité démocratique car il est redevable devant les citoyens à travers les élections et demeure le garant du fonctionnement démocratique de l'ensemble de la société; il est le garant de l'intérêt général et des solidarités collectives, grâce à l'impôt et aux cotisations sociales.
- L'Etat est soucieux de distribuer les richesses, d'assurer l'égalité des chances et de doter le pays d'infrastructures à même d'améliorer la compétitivité du pays et des entreprises.
Pour ce faire, il doit mettre fin aux tricheries fiscales et sociales, aux disparités régionales. Il prend en charge la lutte contre la précarité, le chômage et la pauvreté et garantit le droit de générations futures à l'éducation de qualité, à un environnement sain et au développement durable garant des équilibres économiques, sociaux et environnementaux.
Ainsi, l'Etat est partenaire, facilitateur et médiateur mais il détient une certaine primauté et décide en dernière instance des grandes orientations stratégiques, il favorise la coconstruction tout en demeurant l'arbitre ultime.
- Les entreprises à but lucratif sont soucieuses de générer une rétribution du capital, d'investir dans un environnement attrayant et d'assurer une compétitivité interne et externe. Les coûts des facteurs, la productivité, les taux de change...constituent autant d'éléments contribuant à la réalisation de leurs objectifs.
- Enfin, le tiers secteur vise à réaliser la promotion de l'Homme dans son sens le plus large, à travers des opérations de diverses natures : sensibilisation, vulgarisation, formation, assistance...Il est par ailleurs un «lanceur d'alertes» en ce sens qu'étant omniprésent dans le tissu économique et social, il aura la capacité d'identifier précocement les opportunités et les menaces.
4- Rôle des acteurs de la société et leurs interactions entre eux et avec l'Etat stratège
Le secteur public comprend d'une part les administrations publiques de l'Etat et des collectivités locales, et d'autre part les entreprises publiques dont au moins 51 % du capital social est détenu par l'Etat ou des administrations nationales, régionales ou locales...
Le secteur privé correspond au secteur d'activité de l'économie où l'Etat n'intervient pas ou du moins peu. Il s'agit principalement des entreprises privées n'appartenant pas à l'Etat et étant gérées par des particuliers et dont la raison d'être est le profit.
Le tiers secteur est un acteur économique important : 10 % de l'emploi salarié en France est dans les coopératives, mutuelles, associations et fondations
L'économie sociale ou économie sociale et solidaire regroupe un ensemble de coopératives, mutuelles, associations, syndicats et fondations poursuivant des buts non lucratifs et fonctionnant sur des principes d'égalité des personnes, de solidarité entre membres et d'indépendance économique.
En rapport avec les configurations innovantes, les nouvelles formes de gouvernance démocratique dans le domaine des politiques publiques peuvent résulter des interactions entre l'Etat, le marché et la société civile. Au niveau micro comme macro, en mettant en scène «la puissance publique» en interface avec les acteurs du marché et du tiers secteur, dans des communautés locales et dans des secteurs spécifiques d'activité collective, elles peuvent être résumées comme suit :
*Les nouvelles formes de gouvernance concernées touchent les politiques publiques non seulement au moment de leur mise en œuvre (aspect organisationnel), mais aussi au moment de leur élaboration (aspect institutionnel); la gouvernance se réfère aux interactions qui s'établissent entre la société civile, le marché et la puissance publique, tandis que l'idée de gouvernement met l'accent sur le rôle de l'Etat et de l'administration publique ;
*Dans l'équilibre entre Etat, société civile et entreprises lucratives, seul l'Etat a la légitimité démocratique car il est redevable devant les citoyens à travers les élections, tandis que les associations, les organisations de l'ESS et les entreprises lucratives n'ont de comptes à rendre qu'à leurs organes internes, sans contrôle par les citoyens. C'est pourquoi on ne peut mettre sur un pied d'égalité ces trois types d'organisations : l'Etat demeure le garant du fonctionnement démocratique de l'ensemble de la société.
L'idée d'interactivité suggère que les relations entre l'Etat, le marché et la société civile s'établissent non pas à sens unique, mais dans les deux directions. D'une part, l'activité de l'Etat a des effets induits sur le marché et la société civile. D'autre part, l'activité des acteurs du marché et de la société civile a des effets induits sur l'Etat. Ce rôle passe moins qu'auparavant par l'usage de l'autorité et de la coercition. Dans le nouveau régime de gouvernance, la puissance publique recourt davantage au dialogue, au débat et à la délibération. La négociation, la persuasion et l'incitation remplacent la coercition comme mode d'intervention publique. Autrement dit, la puissance publique ne peut plus construire seule les politiques publiques. L'Etat a besoin de partenaires contribuant à leur coconstruction. Les acteurs politiques ou administratifs reliés à l'Etat ou à la puissance publique ont un rôle d'animateurs des processus interactifs avec des partenaires de la société civile.
L'Etat est un facilitateur qui construit et applique des politiques publiques en mobilisant la participation d'une diversité d'acteurs et de réseaux de la société civile. Parmi les acteurs à inclure pour démocratiser les politiques publiques, on ne saurait exclure ceux qui appartiennent au tiers secteur, aux mouvances communautaires et aux initiatives de l'économie sociale et solidaire. Il est clair que les organisations de l'économie sociale et solidaire constituent des réseaux d'engagement civique servant de base à l'action collective en vue de la production de biens publics ou d'intérêt général ; ils constituent, de ce fait, des partenaires légitimes des processus de gouvernance.
Il faut donc dépasser les cadres binaires Etat/marché ou privé/public. En préconisant l'approche tripolaire qui se réfère aux interactions entre l'Etat, le marché et la société civile, des avenues nouvelles et prometteuses s'ouvrent dans la pratique.
Il ne suffit pas de faire cohabiter l'Etat, le marché et la société civile pour promouvoir des dynamiques novatrices dans les politiques publiques. Il faut aussi suivre les configurations induites par les interactions qui se dessinent entre les logiques étatique, marchande et associative.
Nous proposons un système de gouvernance (ou mode de régulation) qui résulte d'un compromis entre les trois systèmes de valeurs et principes : ceux provenant de l'Etat (redistribution et équité), ceux provenant du marché (efficacité et compétition) et ceux du tiers secteur (solidarité, réciprocité, dons).
Ainsi, il faut passer d'une gouvernance concurrentielle axée sur la compétition entre les groupes d'acteurs à une gouvernance partenariale axée sur un compromis coconstruit avec l'apport de la plus grande diversité des acteurs et réseaux d'acteurs.
Dans notre vision de l'Etat stratège en partenariat tant avec les acteurs de la société civile qu'avec ceux du marché, l'interaction et la délibération dont l'importance a été soulignée sont compatibles avec le fait que l'Etat, en dernière instance, demeure animateur ou arbitre du processus délibératif. Cela veut dire que l'Etat n'est pas tout à fait un acteur au même titre que les autres : s'il doit renoncer à l'usage exclusif de la coercition pour construire seul sa politique, il est nécessaire qu'il conserve sa capacité à trancher, mais il doit le faire d'une manière qui ne dissout pas la coconstruction.
Ainsi, la vision tripolaire ne consiste pas à ajouter un troisième acteur à côté du Public et du Privé, tout en conservant des modes de gouvernance classiques. Pour réussir à relever les défis que la Tunisie doit affronter, il est impératif pour les trois types d'acteurs de s'y préparer mentalement et culturellement. Il n'y aura point de synergie si tous les acteurs, aussi divers soient-ils, ne mettent pas les moyens pour avancer en harmonie dans le cadre d'une gouvernance partenariale axée sur un compromis co-construit avec l'apport de la plus grande diversité des acteurs et des réseaux d'acteurs.
L'Etat devrait dans la nouvelle vision cesser, chaque fois que le marché s'y prête, d'être un compétiteur en concurrence directe avec les deux autres acteurs de l'économie. Son rôle devrait être de coconstruire dans le cadre d'un partenariat bénéfique pour toutes les parties prenantes.
5- Vers l'émergence du tiers secteur (secteur de solidarité) : Définition du tiers secteur ou secteur de solidarité
C'est l'ensemble des activités économiques sociales et culturelles qui, à l'intersection du secteur privé et du secteur public, se développent selon la logique non lucrative.
Le terme de tiers secteur présuppose l'existence de deux autres secteurs : le secteur privé (ou concurrentiel) et le secteur public (ou étatique).
Le tiers secteur, ou secteur sans but lucratif «non profitsector» est un concept utilisé pour dénommer le terrain social hors l'Etat et le marché. Le tiers secteur ou secteur de solidarité est un ensemble d'institutions qui partagent cinq caractéristiques : elles sont organisées, elles sont privées, elles ne redistribuent pas de profit, elles sont autogérées et les membres adhèrent volontairement
Entre le secteur privé et le secteur public, il existe de la place pour de nouveaux emplois, car nous en manquons dans notre société pour améliorer la qualité de vie et baisser le chômage, notamment des diplômés de l'université en développant des formes d'emplois utiles à la société.
Ni le privé, car ce n'est pas rentable, ni le public, car il ne sait pas le faire ou il n'a pas les moyens, d'où la nécessité de développer un tiers secteur qui mobilise à la fois les ressources publiques, et privées et une partie du bénévolat.
Notre approche du développement économique est influencée par les courants de pensée modernes, qui plaident pour un nouveau modèle de développement inclusif social et solidaire, durable, performant et respectueux des principes de la bonne gouvernance, place l'Homme et ses besoins au centre de toutes les préoccupations. Il ne saurait y avoir de développement, sans que l'Homme n'en soit la finalité.
De nombreuses recherches académiques et expériences pratiques ont vu le jour, y compris dans des pays à fortes traditions libérales, à l'instar du Canada, notamment le Québec, qui voit émerger un nouveau modèle de développement qualifié de partenarial, un modèle qui se distingue aussi bien du modèle keynésien ou fordiste que du modèle néolibéral.
Le Forum social mondial, les écologistes ainsi que les altermondialistes ont consolidé le mouvement vers l'adoption d'un nouveau modèle, dans une perspective de développement durable et équitable.
Le premier apport de cette approche réside dans la définition des acteurs économiques. Jusqu'ici, les acteurs économiques étaient au nombre de deux : le secteur public et le secteur privé à but lucratif. Cette vision est restée pertinente jusqu'à l'émergence en nombre et en pouvoir — économique et social — d'une autre catégorie d'acteurs formée par :
- les syndicats des travailleurs
- les syndicats de patrons
- les associations de la société civile,
- les chambres de commerce et d'industrie
- les fondations
- les coopératives de production
- les coopératives de services
- les mutuelles
- l'entrepreneuriat social...
Ces acteurs, devenus désormais incontournables par leur contribution au développement économique, social et politique forment ce qui est appelé le tiers secteur.
De la nécessité de réformer le tiers secteur ou secteur de solidarité
Dans le contexte où l'institutionnalisation des partenariats public-privé (PPP) n'est pas encore réellement amorcée ( un projet de loi sur le PPP est actuellement en cours de discussion en Tunisie), il est nécessaire d'envisager toutes les avenues intéressantes, d'impliquer tous les acteurs concernés et de soulever les enjeux relatifs aux orientations préconisées.
S'il est impératif d'entamer des reformes du secteur public et de mettre à niveau le secteur privé, le tiers secteur est à réhabiliter et rénover pour dépasser le malentendu dû à l'expérience du coopérativisme d'Etat des années soixante, pour ce, il a besoin des grandes reformes : un cadre juridique consacrant ses principes, notamment la primauté de l'Homme sur le capital, et définissant ses composantes essentielles ainsi que les moyens de financement, d'où l'urgence aujourd'hui d'une loi organique qui puisse consacrer les principes du tiers secteur, définir ses composantes, énoncer les règles de fonctionnement démocratique de ses structures, déterminer les mécanismes de son financement, y compris par la voie de subventions publiques.
Le secteur coopératif en Tunisie, malgré sa marginalisation, contribue au développement agricole en fournissant les intrants nécessaires à l'exploitant agricole à hauteur de 20% de ses besoins et collecte environ 40% des quantités de lait produit et transforme 60% de la production des vignobles.
À cet égard, le tiers secteur avec ses différentes composantes précitées a démontré qu'il est possible de concilier les objectifs économiques et sociaux au sein d'une même organisation.
Or, la réussite des partenariats public-privé passe inéluctablement par la rencontre entre les finalités sociales de l'Etat et les objectifs de rendement économique du secteur privé.
Le recentrage de l'Etat sur sa mission première permet d'entrevoir un pan entier d'activités laissées libres sur le marché, en s'inspirant des expériences internationales sur le partenariat public-coopératif.
Certains pays, comme l'Italie, dans leur processus de remodelage des fonctions de l'Etat, ont pris le pari de préconiser le modèle de développement coopératif. Dans ce pays, l'Etat a mis en place un mécanisme de partenariats public-coopératif confortés par la législation. Selon cette dernière, un marché est réservé aux coopératives sociales en région et dans les municipalités, pour leur octroyer des contrats dans le cadre de partenariats public-privé. Les coopératives sociales disposent d'un droit d'option sur les appels d'offres publics.
Le gouvernement du Québec, par sa Politique de développement coopératif, a aussi soulevé l'importance de reconnaître l'avenue coopérative. Cette politique précise que les coopératives ont besoin que l'Etat harmonise son action à leur endroit et reconnaisse, par des actions concrètes, l'importance de la formule coopérative pour le développement économique et social du Québec.
L'occasion est idéale pour que le gouvernement tunisien donne un signal au mouvement coopératif du tiers secteur par des mesures législatives qui permettent de mettre en valeur les avantages du modèle coopératif et prendre en considération les spécificités du tiers secteur lors de l'élaboration de lois, de programmes ou de mesures. Cela est possible si le gouvernement institue un mécanisme qui permette de choisir le partenaire, et ce, avant d'aller en appel d'offres public, des organismes dont la finalité est sociale, comprenant les coopératives, les regroupements de travailleurs (syndicats), les organismes communautaires et les instances municipales
Il s'agirait d'accorder aux instances du tiers secteur et aux municipalités un droit d'option citoyen avant de procéder aux appels d'offres de façon élargie.
Les coopératives et leurs regroupements sectoriels, possèdent déjà des expertises en matière de partenariats public-coopératives qui ont constitué une réponse aux besoins des membres et pour assurer une qualité des services offerts.
Pour une loi ambitieuse et mobilisatrice
En conclusion, le projet de loi sur le partenariat public privé, nous semble loin de répondre aux besoins du pays, mais aussi à sa réalité. En effet, toutes les études et enquêtes sur le terrain montrent l'absolue nécessité de réaliser un travail au plus près des populations déshéritées, laissées-pour-compte, marginalisées.
Ni l'Etat seul, ni les entreprises seules ne seront à même d'identifier les problèmes, de proposer des actions et de contribuer à leur réalisation. Seule une approche intégrée et associant tous les acteurs aura une chance de pouvoir améliorer la situation actuelle.
Il est vrai que certaines opérations ont pu être réalisées en associant des acteurs appartenant à des pôles différents, à l'instar des actions de «Responsabilité sociétale» diligentées conjointement par des entreprises, des syndicats de travailleurs et des syndicats patronaux. Ces actions restent malheureusement limitées.
Concernant le projet de loi sur le partenariat public-privé, il nous semble que certaines parties ont exagéré ses possibles retombées économiques et sociales. Il ne s'agit point d'une panacée. Au mieux, certains investissements, à fort besoin de financement et de technicité, pourront être réalisés dans le cadre de cette loi, ce qui permettra une gestion plus souple des projets, sans recours à des financements hypothétiques et à des coûts exorbitants.
Nous constatons qu'il y a souvent confusion entre le concept de la privatisation et celui de partenariat public-privé.
Ceci étant dit, les syndicats et les forces du progrès s'opposent à toutes démarches de privatisation des services aux citoyens qui risqueraient d'affecter leur accessibilité.
Le gouvernement, par ses choix politiques, demeure le seul responsable de la qualité des services rendus aux citoyens et de leur accessibilité. Il ne saurait donc être question de transférer cette responsabilité au secteur privé, pas plus qu'à une agence des partenariats ou à un organisme mandataire, mais bien de s'assurer que les services répondent aux besoins des citoyens.
Cependant, nous recommandons que le libellé soit clairement précisé à l'effet que le gouvernement doit s'assurer de conserver le contrôle, à la fois, sur ses mandataires lorsqu'il y a impartition d'une fonction de l'Etat visant à assurer la prestation d'un service, et sur la qualité des services aux citoyens, notamment par un mécanisme d'évaluation.
Nous proposons l'émergence d'un nouveau modèle de développement fondé sur des partenariats entre l'Etat, le marché et la société civile. Un modèle qui se distingue aussi bien du modèle keynésien ou fordiste que du modèle néolibéral.
Ce nouveau modèle de développement repose sur un paradigme davantage porteur d'innovations, fondé sur la solidarité, la participation et un mode de régulation partenariale.
Il permet d'envisager une troisième avenue. Cette voie repose sur une approche qui réconcilie l'économique et le social, soit la prise en charge par les citoyens de leur développement pour répondre à leurs besoins, et ce, au sein d'une entreprise collective. Cette approche ne se situe pas entre le privé et le public, mais permet d'envisager la question autrement, c'est-à-dire en permettant à la population, et donc aux usagers des services d'être partie prenante de la gestion des responsabilités et du maintien de la qualité des services. En ce sens, le tiers secteur, qui réunit au sein d'une même organisation l'usager, comme utilisateur et administrateur du service, s'inscrit dans ce troisième paradigme sur la base des expertises que le mouvement coopératif a su bâtir au fil du temps.
Considérant l'importance des changements préconisés et des impacts sur le développement futur d'un nouveau modèle de développement propre à la Tunisie.
Considérant également que les règles du jeu doivent être claires pour tous les acteurs impliqués;
Considérant l'importance d'assurer la qualité des services aux citoyens;
Considérant que le gouvernement semble résolu à emprunter une avenue de décentralisation de certaines responsabilités par les élus locaux et régionaux,
Considérant que la formule coopérative présente des avantages certains, étant une voie innovatrice pour répondre aux besoins des citoyens;
Considérant, finalement, que les organisations composant le tiers secteur peuvent développer un ensemble de services structurés pour répondre aux besoins d'expertises et de supports des organisations du tiers secteur, de leurs membres et de leurs communautés, par la création de regroupements et de fédérations dans plusieurs secteurs d'activités.
Recommandations pour l'émergence du tiers secteur
* Que le gouvernement introduise dans la loi un droit d'option citoyen qui est un droit de préséance accordée aux coopératives, aux travailleurs et aux instances municipales, dans l'octroi de mandats, et ce, avant même de procéder aux appels d'offres. Dans l'éventualité où de telles entreprises coopératives, regroupements de travailleurs ou instances municipales ne se manifestent pas, le gouvernement pourrait alors procéder aux appels d'offres de façon élargie auprès du marché privé.
* Que le gouvernement mette en place les conditions favorables à l'émergence et la concrétisation de partenariats public-coopératif.
Si nous voulons nous donner les moyens de mettre en place une politique économique et sociale à la hauteur des ambitions des Tunisiennes et des Tunisiens ainsi que des valeurs et principes de la révolution tunisienne de la citoyenneté et de la dignité du 14 janvier 2011, l'adoption d'une économie plurielle, de structure tripolaire, où les principes et valeurs de l'économie du marché sont reconnus par l'Etat, mais ne sont pas les seuls. La logique de l'économie du marché, doit accepter d'entrer en négociation de compromis avec la logique associative du tiers secteur et la logique redistributive de l'économie publique, voilà comment nous semble être la solution idoine. L'Etat devant jouer un rôle de stratège partenaire.
Un Etat qui doit être rénové, recentré, remobilisé autour d'objectifs clairs ; il doit être une force de veille et d'anticipation, il doit avoir une vision à long terme et porteur d'un projet d'avenir, élaboré avec tous les acteurs de la société, selon un processus participatif, bref un Etat stratège partenaire des acteurs de la société dans leur diversité.
Nous sommes plus que jamais convaincus, en tant que syndicalistes et force du progrès, que pour sortir notre pays de la crise et réussir véritablement la transition vers la démocratie, la Tunisie doit emprunter de nouveaux chemins vers le développement durable qui passe nécessairement par la satisfaction des attentes de dignité et de citoyenneté de notre peuple.
*Président de l'association Mohamed Ali de la culture ouvrière


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.