Au palais du Bardo, les initiatives législatives émanant des députés se multiplient. Les projets de lois relatives aux réformes dites «douloureuses» attendent qu'on leur trouve les compromis nécessaires dans les bureaux feutrés Que faut-il faire pour que nos députés et les partis politiques qu'ils représentent au sein du Parlement comprennent, enfin, que l'heure n'est pas à la multiplication des initiatives législatives aussi «fantaisistes» les unes que les autres mais plutôt à l'examen sérieux et sans a priori des réformes dites douloureuses. Ces réformes, tout le monde en convient que le temps presse afin qu'elles soient mises au point et tout le monde assure que tant qu'elles ne sont pas votées au Parlement, la machine économique ne redémarrera pas et les investisseurs étrangers ne reviendront pas en Tunisie. Idem pour les investisseurs nationaux qui ne savent pas encore sur quel pied le gouvernement est en train de danser. En plus clair, nos hommes d'affaires, particulièrement ceux vivant sous la hantise des procès qui s'ouvriront contre eux pour corruption et malversation à l'époque de l'ancien régime, sont dans l'expectative et à chaque apparition télévisée du président de la République ou du chef du gouvernement, ils espèrent entendre la bonne nouvelle, celle qui va les libérer de la peur qui les empêche d'entreprendre, de travailler, de produire et d'assumer la mission qui est la leur, investir et créer de l'emploi. La semaine écoulée a beau redonner de l'espoir aux Tunisiens, à travers la feuille de route issue du Dialogue national sur l'emploi et les milliards de dinars que nous promettent pour les années à venir le Fonds monétaire international, la Banque mondiale, la Banque africaine de développement et l'Union européenne, l'atmosphère générale qui a suivi est malheureusement à la morosité et à la suspicion quant à la concrétisation des décisions qui ont couronné les travaux du Dialogue national sur l'emploi. Et comme à l'accoutumée, les députés du palais du Bardo n'ont pas raté l'occasion pour se distinguer de nouveau, à travers les initiatives tendancieuses qu'ils déposent auprès du bureau de l'Assemblée des représentants du peuple et les déclarations incendiaires qu'ils produisent à longueur de journée montrant que leur fuite en avant et leur détachement de la réalité du pays ne font que s'accentuer de jour en jour. Les exemples ne manquent pas et le bloc parlementaire Al Horra, composé des députés dissidents de Nida Tounès et défendant les couleurs du parti en voie de création par Mohsen Marzouk «le Mouvement projet de Tunisie», de se distinguer en soumettant un projet de loi visant à interdire le port du niqab dans les espaces publics dans le but de couper l'herbe sous les pieds des terroristes qui portent le niqab pour accomplir leurs attentats terroristes. Les résultats ne se sont pas fait attendre et la polémique de s'installer entre ceux qui considèrent qu'il est «normal que les libertés individuelles soient rétrécies en temps de guerre contre un ennemi commun qui menace le pays, en l'occurrence le terrorisme» et ceux qui crient au retour de la dictature et évoquent la circulaire 109 qui interdisait du temps de Bourguiba et de Ben Ali le port du niqab et assurent qu'ils ne sont pas étonnés «puisque les initiateurs du projet sont connus pour leur appartenance idéologique aux deux anciens régimes et ne font que perpétuer leurs anciennes pratiques, cette fois sous le couvert de la démocratie et de l'opinion et de l'opinion contraire». A la quête des signatures manquantes Toujours du côté du palais du Bardo, les députés Fatma M'seddi (Al Horra), Zied Lakhdhar (Front populaire), Maher Medioub (Ennahdha), Mohamed Lamine Kahoul (UPL), Ali Bennour (Afek Tounès) et Mongi Harbaoui (Nida Tounès) se mobilisent pour collecter les signatures manquantes (quatre signatures) afin qu'ils puissent déposer leur initiative législative visant à amender la loi 27/1993 relative à la carte d'identité nationale et d'y supprimer la case comportant la profession du titulaire de la carte. Leur argumentaire est simple : «Il faut assurer l'égalité de tous devant la loi puisqu'à l'heure actuelle, les détenteurs de diplômes de l'enseignement supérieur sont pénalisés par l'indication ‘‘Néant'' qu'on trouve sur la case relative à leur profession sur leurs cartes d'identité». Quant aux lois relatives aux réformes douloureuses comme le relèvement de l'âge de départ à la retraite, dans le but de trouver un début de solution à la faillite annoncée des caisses de retraite et de sécurité sociale, la loi relative au nouveau code des investissements, la loi sur la réconciliation économique soumise il y a plusieurs mois par le président de la République, la loi sur la réforme du système éducatif devenue le domaine privé ou personnel de Néji Jalloul, ministre de l'Education, qui distille à volonté les nouveautés de la prochaine rentrée scolaire comme si tout était fait et que la réforme était déjà adoptée, les députés n'en ont cure. Ils attendent que Mohamed Ennaceur, président de l'ARP, respecte ses engagements et remette les projets de loi en question aux commissions parlementaires, à temps, afin que l'ensemble des lois soient examinées et adoptées avant le 25 juillet prochain, date de la clôture de la session parlementaire en cours. Parallèlement, nos députés persévèrent dans la voie qu'ils ont choisie d'emprunter: celle de se considérer comme les législateurs qui ne commettent jamais d'erreurs et même si les instances censées réparer leurs fautes (dont en premier lieu l'Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des lois) leur indiquent qu'ils font fausse route, ils persistent dans leurs positions et accusent ces instances de dépasser leurs prérogatives et de chercher à accaparer injustement les attributions du Parlement. En attendant que les députés saisissent qu'ils ont le devoir absolu de s'astreindre aux avis rendus par les instances constitutionnelles, comme c'est le cas dans les pays démocratiques qui fonctionnent normalement, on continue à créer les instances constitutionnelles prévues dans le texte de la Constitution. La dernière en date est l'Instance nationale pour la prévention de la torture. Bien avant qu'elle ne choisisse son président, déjà une polémique s'est installée : a-t-on écarté Radhia Nasraoui du conseil de l'Instance dans un deal entre Ennahdha et Nida Tounès où les nahdhaouis ont accepté de lâcher Imène Trigui ?