C'est jeudi après-midi qu'ont démarré les travaux du troisième congrès du FP qui s'étaleront sur trois jours, c'est-à-dire qu'ils ont pris fin hier, 1er mai. Cette conférence se tient deux ans après celle d'Hammamet qui a déterminé le comportement politique à adopter, après les élections précédentes. Aujourd'hui, les militants et les sympathisants de cette coalition de gauche attendent des réponses politiques concrètes et organisationnelles aux complexités de la réalité actuelle, en précisant les priorités et la manière d'affronter les défis posés aux niveaux national, régional et international. Autrement dit, ces travaux auxquels participent quelque 300 congressistes, représentant toutes ses composantes politiques ainsi que les indépendants, portent sur deux thématiques, l'une politique, l'autre organisationnelle. D'une part, ils s'attacheront à mettre en place une plateforme commune et à élaborer une initiative susceptible d'apporter des solutions aux problèmes actuels que connaît le pays en ce moment sur tous les plans. De l'autre, les congressistes s'ingénieront à doter leur Front d'une structure adéquate pour qu'il puisse mener à bien son programme et accueillir toutes les compétences qui aimeraient lutter en son sein. Voilà les paris à gagner et les obstacles à surmonter pour le FP lors de ce congrès. Déficit organisationnel et démocratique Certains observateurs voient que cette coalition, constituée de plusieurs parties politiques, réunies en octobre 2012, a réussi à développer un discours pondéré et à faire montre d'un réalisme politique qui rompt avec le radicalisme outrancier qui a, toujours, marqué le comportement de la gauche tunisienne par le passé. Néanmoins, au-delà de ces atouts incontestables et incontestés, le succès électoral de cette force politique montante ne devrait pas occulter ses défaillances constatées, notamment, au niveau organisationnel dont la fragilité reste bien visible, rien qu'à voir son implantation régionale encore, sensiblement limitée, malgré la constitution de quelques cellules de coordination. La direction du Front populaire, constituée par le Conseil de secrétaires généraux, et le bureau exécutif sont, somme toute, mises à part ces quelques coordinations régionales, les seules instances qui fonctionnent régulièrement, et les nombreux indépendants et organisations de la société civile, qui constituent son épine dorsale, ont encore du mal à faire entendre leurs voix dans une telle organisation. Ce congrès vient, donc, à point nommé, pour structurer de manière verticale et démocratique le Front, d'autant plus que ceux de Sousse de 2013 et d'Hammamet de 2014 ont mis en plein jour ces défaillances et quelques incohérences au niveau de certaines conceptions relatives à des questions bien déterminées, sans pour autant proposer de solutions tangibles pour les dépasser. Certes, l'existence de divergences quant aux approches à adopter vis-à-vis de questions secondaires participe à démocratiser les rapports entre ses différentes composantes, car un parti qui fonctionne à l'unisson et en parfaite harmonie ne peut pas être vraiment démocratique, seulement cette discordance ne doit en aucun cas toucher à l'essentiel afin que la cohésion d'équipe reste forte et éviter de graves dissensions. En d'autres termes, il faut jouer en chœur, tout en écrivant ses propres partitions. C'est bien de procéder à la dissection de la situation, cependant il ne faudrait pas en rester là surtout si on tient à jouer les premiers rôles. Donc, les militants du FP fondent de grands espoirs sur ce troisième congrès pour dépasser les imperfections des congrès précédents, caractérisés par la présence massive des vétérans et la quasi-absence des jeunes et des femmes et pourtant les uns et les autres ne manquent pas dans les structures de base. Plusieurs questions ont été soulevées alors par un certain nombre d'observateurs : y a-t-il alors un manque de formation et d'encadrement? Ou bien un manque de confiance ? Remaniement à la direction Sans tomber dans un féminisme outré, ils trouvent le nombre très réduit de ces dernières, dans les instances supérieures actuelles du FP, fort inquiétant. Car cela ne colle pas à l'image d'une coalition de gauche. On sait, pertinemment bien, que la présence massive des femmes dans certains partis n'est d'aucun intérêt pour la cause féminine comme l'atteste, par exemple, celles d'Ennahdha qui ont voté contre l'article 45 du projet de la Constitution, relatif à la parité hommes/femmes au sein des assemblées élues. Elles étaient sept, parmi lesquelles des universitaires, sur les huit députées à dire non à cette loi favorable à la femme. Autrement dit, elles étaient contre elles-mêmes, contre leur propre émancipation. Donc, on ne doute pas que la défense des droits de la femme dépend de convictions et d'un programme progressistes, indépendamment de sa représentativité au sein des partis, mais cela n'empêche que son éclipse dans le FP est une anomalie qui pose plus d'une question, toujours selon ces observateurs. L'autre imperfection relevée au sein du FP par ces derniers a trait à sa communication. Ils estiment que, s'il a réussi, avec brio, à mener à bien la campagne électorale de son porte-parole, Hamma Hammami, qui a bénéficié du grand savoir-faire de son directeur de campagne, Riadh Ben Fadhel, l'auteur d'un superbe coup marketing, son comportement à ce niveau au cours des élections parlementaires laisse à désirer, comme en témoigne le grand écart entre les deux résultats. Ils concluent que c'est en revoyant sa communication que le FP pourrait préserver sa montée en puissance et devenir une vraie force d'avenir sur l'échiquier politique tunisien où le marketing et la communication jouent un rôle déterminant. Comme on le voit, les paris pour le FP sont multiples et variés. Ces lacunes répertoriées et disséquées seront examinées, aujourd'hui, dans le cadre de trois ateliers : l'un sera consacré à l'élaboration d'une plateforme politique, l'autre à la conception d'une initiative politique et le troisième à la question cruciale relative à l'organisation du Front. De grandes nouveautés seront apportées concernant ce dernier point, d'après nos sources. Tout d'abord, la structure de la direction ne sera plus la même, étant donné que l'actuel Conseil des secrétaires généraux sera remplacé par un Conseil général élargi qui sera composé de 24 ou 25 membres, dont les 2/3 seront élus parmi les indépendants et les composantes politiques, tandis que le 1/3 restant sera désigné seulement parmi ces dernières. Enfin, tout en gardant le poste de porte-parole, un autre sera créé et qui sera, dorénavant, le plus important. Il est question de celui du coordinateur général qui sera doté de prérogatives réelles et qui sera, vraisemblablement, attribué à Hamma Hammami. La coïncidence de la clôture des travaux de ce troisième congrès avec celle du 1er mai, la fête des travailleurs, est loin d'être gratuite. A travers ce choix bien délibéré, le FP entend renforcer son positionnement en tant que partenaire incontournable de ces derniers.