Un projet de loi sur la lutte contre les violences à l'égard des femmes fait actuellement l'objet d'un dialogue au sein du ministère de la Femme, de la Famille et de l'Enfance. Il sera remis au gouvernement, puis à l'ARP pour adoption Le Réseau euroméditerranéen des droits humains a organisé, hier à Tunis, une conférence nationale portant sur le thème : «Les violences à l'égard des femmes et des filles». Cette rencontre a été l'occasion pour les responsables des institutions de tutelle, des politiciens tout comme des militants pour la cause féminine de mettre le doigt sur une série de problématiques relatives aux droits de la femme et de dénoncer moult manifestations institutionnelles, juridiques, sociétales et économiques entravant l'accès auxdits droits. Cette rencontre a permis, aussi, de présenter une étude, réalisée par Mme Sana Ben Achour, présidente de l'association « Beity » et universitaire. L'étude, intitulée « Violences à l'égard des femmes : les lois du genre », est publiée par le Réseau euroméditerranéen des droits humains. Elle représente une lecture à la fois juridique et idéologique sur les violences à l'égard du genre; une lecture qui dévoile l'ancrage tenace et récalcitrant de l'esprit et du modèle sociétal patriarcal et appelle à réviser les lois légitimant cet esprit et à leur substituer des textes fondés sur le principe de la parité et de l'égalité des sexes. Ouvrant la conférence, Mme Samira Maraï, ministre de la Femme, de la Famille et de l'Enfance, a souligné, non sans inquiétude, l'ampleur que ne cesse de prendre le phénomène de la violence à l'égard des femmes et des enfants dans notre société. Un phénomène qui s'empare aussi bien de l'environnement familial que de l'espace public. « Selon les dernières statistiques, nous constatons que 93% des enfants sont victimes d'agression. La violence est, également, infligée à plus de la moitié de la population féminine. Ce qui traduit une montée sans précédent de la culture de la violence », a-t-elle souligné. Aussi, est-il impératif de faire face à ce fléau à travers la conjugaison des efforts de toutes les parties concernées, notamment le gouvernement, les politiciens et les membres de la société civile afin de substituer à la culture de la violence la culture de la non-violence. La ministre a ajouté qu'une telle entreprise implique la mise en place, d'abord, d'une loi spécifique de lutte contre la violence à l'égard du genre et des catégories vulnérables, puis d'une stratégie nationale de protection des femmes contre ces abus. Elle a rappelé qu'un projet de loi fait actuellement l'objet d'un dialogue au sein du ministère. Il sera remis au gouvernement, puis à l'Assemblée des représentants du peuple pour homologation. De son côté, Mme Saïda Garrach, conseillère auprès de la présidence de la République, chargée de la société civile, a souligné l'impératif d'instaurer une loi à même de traiter toutes les problématiques liées à la violence à l'égard du genre. Elle a appelé les politiciens à assumer leurs responsabilités dans le déclenchement d'une mutation qualitative de la société tunisienne; laquelle mutation ne saurait avoir lieu sans la prise de décisions ambitieuses, servant l'intérêt du peuple et de toutes ses composantes, sans exception. Schizophrénie législative et privilèges masculins A travers « Les violences à l'égard des femmes : les lois du genre », Mme Ben Achour reconnaît l'avancée législative tunisienne, tant prérévolutionnaire que postrévolutionnaire, en matière de promotion des droits de la femme. Le CSP représente une référence législative pro-féminine inégalée dans le monde arabe. Le Code pénal défend les droits de la femme à la justice. Après la révolution, la Constitution a permis de poursuivre ce chemin pro-féministe par le biais de l'article 46 qui appelle à l'obligation d'éradiquer toutes les formes de violence et qui établit des droits féminins, à la fois sociaux, économiques et civils jamais constitutionnalisés auparavant. La révolution a, en outre, garanti l'identité féminine linguistique de la moitié de la population tunisienne. « Le droit des femmes à l'identité féminine dans les textes juridiques était occulté par le générique masculin. Aujourd'hui, on aboutit à ce que j'appelle la parité linguistique dans le texte constitutionnel », a indiqué l'oratrice. Paradoxalement, l'on vit encore au rythme des violences perpétuelles et croissantes même à l'égard des femmes. Une violence multiforme, omniprésente qui se trouve, de surcroît, banalisée voire excusée. « Les violences se nourrissent des rapports de genre, de cette idée naturalisant les rôles des femmes et ceux des hommes. Aussi, les violences à l'égard des femmes sont-elles fondées sur le principe du patriarcat. Pis encore, les lois s'avèrent les plus grands instruments de la reproduction et de la pérennisation de ces violences. Ces dernières sont, par définition, des violences instituées dans la loi », a-t-elle expliqué. Et pour preuve : l'abolition de l'obligation de l'obéissance de la femme à son mari n'avait vu le jour qu'en 1993. Le CSP continue à légitimer la disparité entre les genres, via ce que l'oratrice qualifie de « privilèges juridiques masculins ». D'un autre côté, le Code pénal, dont la création remonte à 1913, devrait, selon Mme Ben Achour, « changer de ligne de mire en remplaçant l'ordre colonial répressif, cet ordre public patriarcal, par un ordre équitable, garantissant la protection des droits et des libertés de tous et de chacun ».