Nous y revoilà. La politique politicienne reprend le dessus. L'opinion arabe et musulmane a assisté aux accords de réconciliation israélo-turcs, réitérés ces deux derniers jours, après six années de brouille Au niveau politique, au menu, normalisation, échange d'ambassadeurs, coopération militaire, sécuritaire et du renseignement, notamment au sein de l'Otan, et vente d'armes. Volet économique, les pipelines gaziers israéliens seront autorisés à transiter par la Turquie, qui a l'intention d'acheter le gaz naturel israélien en vue de l'exporter en Europe. Par ailleurs, toute aide turque aux Palestiniens de Gaza sera soumise au contrôle et au visa israéliens. L'accord entre Israël et la Turquie porterait aussi sur la construction, avec des fonds turcs, d'une centrale électrique, d'une usine de dessalement et d'un hôpital à Gaza. A charge toutefois que l'aide turque transite par le port israélien d'Ashdod avant de parvenir aux Palestiniens. Benjamin Netanyahu, le Premier ministre israélien, a tenu à le rappeler. Il a affirmé que le blocus maritime qu'Israël impose depuis 10 ans à la bande de Gaza resterait en vigueur : «C'est un intérêt sécuritaire de haute importance pour nous. Je n'étais pas prêt à le renégocier», a-t-il déclaré. Les rapports réguliers de la Banque mondiale et de l'ONU font valoir que le blocus maritime, terrestre et aérien a tué toute exportation de Gaza, asphyxiant son économie. Il parque également près de deux millions de Palestiniens dans une vaste prison à ciel ouvert. Erdogan avance désormais démasqué. Après s'être essayé à jouer la carte de la Turquie impériale, campant dans un délire de grandeur le rôle falot d'un Soliman le Magnifique raté, il retombe terre-à-terre. Erdogan s'est avisé d'instrumentaliser ledit printemps arabe en vue de ressusciter l'empire ottoman et ses zones d'influence au sein du monde arabe et de la Méditerranée. Il s'est allié au besoin avec les intégristes terroristes d'Ennosra et de Daech. Il les a entraînés, armés, exfiltrés à travers ses propres frontières. Il a participé à l'embrasement sanguinaire de la Syrie, qui se solde jusqu'ici par des centaines de milliers de morts. Il s'est démené sur tous les fronts contre la Syrie et l'Egypte, a participé à la mise au pas et à la destruction de la Libye et a voulu se tailler une zone d'influence en Tunisie via les islamistes locaux et leurs alliés. En vain. Partout, c'est l'échec cuisant, hormis la destruction méthodique de la Syrie. Aujourd'hui, la Turquie de l'AKP, de la confrérie des Frères musulmans et des Ottomans virtuels, offre le spectacle désolant d'un pays à la remorque d'Israël et de l'Otan. Adieu délires de grandeur, adieu envolées lyriques. Adieu destin froissé de petit chose grimé en saga des Sélim et Soliman. La realpolitik reprend ses droits. Ce faisant, Israël renoue avec le vieux projet si cher à Ben Gourion de diplomatie de revers : disperser le monde arabe dans des rivalités ancestrales moyennant des protagonistes qui l'empêchent de se consacrer à la cause palestinienne : la Turquie, l'Iran et l'Ethiopie. C'est de bonne guerre, dit-on. Pour Israël particulièrement, c'est plutôt de mauvaise guerre. Mais qu'en est-il du sang des victimes de l'assaut israélien en 2010 sur un navire turc apportant de l'aide humanitaire à Gaza ? Qu'en est-il des colonies de peuplement juives, de la diaspora forcée de millions de Palestiniens réfugiés dans les quatre coins de la terre, de l'impossible Etat palestinien souverain ? La Turquie n'en a cure. Ses agendas, ses priorités sont ailleurs. Aux dernières nouvelles, après avoir semblé particulièrement embarrassé, le Hamas, au pouvoir à Gaza, a exprimé hier sa reconnaissance à Erdogan ! Sous nos cieux aussi, le silence d'Ennahdha est lourd de significations et de gêne. Dans l'ombre, les Américains s'activent en silence. Ils nouent et dénouent les péripéties d'un jeu sombre où les intérêts impériaux l'emportent sur les droits sacrés des hommes et des nations. Ceux qui veulent se maintenir à flot acquiescent. Ils n'y peuvent guère. Finalement, après l'embrouille, l'axe Israël-ErdOtan se raffermit. Les autres n'ont qu'à suivre. Le grand frère américain veille au grain.