Le secteur de la santé, dans la première région classée «victime», peine à garantir le droit d'accès aux soins. Des projets urgents, planifiés depuis 2012, n'ont toujours pas vu le jour. Parmi les premiers dossiers remis à l'Instance Vérité et Dignité (IVD) par la société civile locale dans le but de dénoncer la marginalisation organisée, voire politisée, infligée à la quasi-totalité des régions intérieures, figure le dossier emblématique de Kasserine. Cette région-victime est classée dernière sur l'échelle développement. Un état qui résulte d'un cumul pérennisé d'injustice sociale, économique et culturelle. Pour bien jouer son rôle de vecteur politique et de développement, la section du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (Ftdes) à Kasserine a choisi d'entamer sa lutte pour la justice socio-économique en focalisant, d'abord, l'intérêt sur l'un des secteurs les plus stratégiques et les moins développés de la région, à savoir le secteur de la santé. Le calvaire de 116 mille patients Kasserine compte près de 500 mille habitants. Depuis les événements du 14 janvier 2011, elle représente le site stratégique des terroristes et le théâtre des attentats les plus tragiques. En dépit de cette réalité amère, les manches ne se retroussent pas pour accorder à la population un droit absolu qu'est le droit à la santé. En effet, cette région dispose d'un seul hôpital régional qui peine à fonctionner comme il se doit. Lors d'un point de presse organisé récemment par la Ftdes, les militants de la société civile de Kasserine ont publié des photos choquantes qui montrent le délabrement de l'hôpital, la vétusté des équipements dont certains datent des années 80. En 2015, le service des urgences a reçu, à lui seul, quelque 116 mille patients contre seulement 46 mille en 2013. Une évolution qui en dit long sur les besoins de la population en matière de prestations sanitaires et la pression mise sur le cadre médical et paramédical souvent impuissant vu les modestes moyens mis à leur disposition. Le tragique en cascade Et pour preuve, ces tragiques accidents qui se perpétuent, depuis «la révolution du jasmin», renforçant un sentiment de stigmatisation généralisé. En février 2014, des nouveau-nés ont péri dans des couveuses insalubres suite à une coupure d'électricité. De décembre 2013 à septembre 2014, dans cet unique hôpital, aucun patient n'a réussi à faire des examens par scanner, faute de cet appareil pourtant crucial dans un hôpital digne de ce nom. Le ministère de la Santé a jugé bon d'établir une convention avec une clinique privée, dont, dit-on, le scanner tombe souvent en panne ! Ce qui a contraint des patients à se déplacer jusqu'à l'hôpital de Gafsa. Et ce n'est point fini : en mars 2015, trente élèves ont été conduits à l'hôpital, ce même hôpital qui leur a fourni des vaccins périmés car stockés dans de mauvaises conditions. En cette même année, des dégâts ont été relevés au service de maternité dans lequel l'on utilisait des eaux polluées. En août 2015, l'insuffisance frappante des ressources humaines ainsi que des équipements a été à l'origine du transfert de patients vers les hôpitaux des régions limitrophes. La volonté politique... au stade théorique Pour apporter les réparations nécessaires à cette marginalisation sanitaire, les gouvernements qui se sont succédé après le 14 janvier 2011 ont envisagé la réalisation de plusieurs projets. Selon le Ftdes section Kasserine, l'on compte 46 projets d'investissement dont le coût estimatif est de 29 MD. Ce qui laisse comprendre que le budget alloué au secteur de la santé dans la région ne correspond qu'à 3% ; un bien maigre taux, en comparaison notamment des taux consacrés à d'autres secteurs tout aussi stratégiques, comme ceux de l'équipement (25,4% ), de l'agriculture et l'élevage (23,8% ), l'éducation, l'enseignement supérieur et la formation (12,5%). Cela dit, la plupart des projets de santé planifiés depuis 2012 sont restés au stade des vœux pieux. Pourtant, cela y va de la vie et de la survie des malades et du bien-être d'une population qui endure moult manifestations de marginalisation. Les projets prévus concernent, en effet, l'aménagement et l'extension du service des urgences, l'instauration de plusieurs services manquants à l'hôpital régional de Kasserine, notamment un service de gastrologie, un service d'urologie, un service de pneumologie et un service de réanimation et d'anesthésie. Parallèlement, des projets promettent d'améliorer la prise en charge des patients à l'hôpital local de Feriana. Aussi, est-il prévu de créer un service de chirurgie générale, doté de deux blocs opératoires, un service de pédiatrie tout en veillant à l'extension de cet établissement de santé. Ces projets, qui vont de pair avec le renforcement des équipements et des ressources naturelles et la garantie de plusieurs spécialités, jusque-là manquantes, n'ont toujours pas vu le jour. La lenteur des procédures et le non-respect des délais légaux des démarches juridiques relatives à l'hôpital régional de Kasserine et le problème foncier relatif à l'hôpital de Feriana — une dame avait en effet occupé une parcelle du lot de terrain propriété de l'hôpital —, sont, semble-t-il, les causes des promesses non tenues...