C'est vendredi 24 septembre 2010, et c'est une matinée d'automne. La rue des teinturiers, qui mène au théâtre d'art Ben Abdallah, est surpeuplée, comme d'habitude. Dépassés les étalages de légumes et de poissons, les boutiques de vêtements importés offrent aux regards le plus insolite échantillon de mannequins, coupés à la taille et barrant le chemin aux passants… Qui peut imaginer qu'à une centaine de mètres, il existe un univers tellement différent, un espace de création et de représentation, créé par un homme complètement fou, qui n'a pas peur du risque. Il s'agit de Noureddine El Ouerghi. Tout est parti de cette envie d'avoir son propre pied-à-terre en tant qu'artiste. Un endroit où, avec sa compagne d'art et de vie, l'actrice Najia, il peut créer sans compter ses heures, recevoir et partager ses intentions et sa quête du beau. C'est en 2005 qu'il ouvre Dar Ben Abdallah, anciennes écuries à l'abandon, transformées jusqu'à l'os. Depuis, l'espace est toujours prêt à accueillir ses fidèles. Il ne ferme jamais. Eté comme hiver. Le visiteur connaît ses repères. Les deux pianos et les chandeliers en étain sont toujours à la même place, les vieux postes de radio aussi. L'escalier en colimaçon, au centre de la grande salle, est toujours aussi présent, aussi rouge, aussi beau… Il n'y a que la " misère ", cette plante au jardin, qui a changé de taille. Ses branches montent les marches et dévalent les pavés… Noureddine, le directeur de l'espace, le metteur en scène et le créateur du Théâtre de la terre, égal à lui-même, nous reçoit. Il a l'air fatigué après une saison riche en événements. Il vient à peine de boucler la première édition du festival baptisé : "Masrah eddar " (le Théâtre de la maison), qui a eu lieu au mois de Ramadan. A l'occasion, et du 17 au 26 août, Dar Ben Abdallah a accueilli une dizaine de troupes dont la majorité sont dirigées par des jeunes ressortissants de l'ISAD (Institut supérieur d'art dramatique). L'entrée a été gratuite, dans le but de promouvoir l'espace et de sensibiliser les gens qui habitent dans les alentours. L'objectif a été atteint. Le festival a attiré beaucoup de monde. A part cet événement, les rendez-vous fixes de l'espace se sont bien déroulés. Les " Week-ends du théâtre", les mercredis du cinéma et les ateliers de formation de comédiens ont leur public. Pendant la saison écoulée, N. El Ouerghi a également organisé trois rencontres ayant pour thèmes : le patrimoine musical, la dramaturgie classique et la crise du personnage dans le théâtre moderne. Mais le festival a l'air d'avoir été l'événement de l'année qui s'achève. " Je suis content d'avoir organisé cette manifestation. Autrement, je me serais senti défaillant", avoue l'artiste. Incorruptible rêveur ! Malgré toutes les dettes qui s'accumulent et le harcèlement des banques, il continue à aller jusqu'au bout des ses rêves. Il veut honorer ses engagements de gestionnaire d'un espace culturel. Il n'a pas envie de fermer sa porte. Il veut que son espace soit ouvert sans arrêt, et qu'il affiche tous les jours un produit nouveau. Mais " je ne suis qu'un être humain " : cette phrase, il ne l'a pas dite. C'était inscrit en anglais, sur un bibelot, dans son bureau, à l'étage…