Si un cinéaste devait incarner la mondialisation, ce serait lui : Alejandro Gonzalez Inarritu : né au Mexique, vivant à Los Angeles, travaillant pour les grands studios américains, dont il est aujourd'hui un peu l'enfant prodige grâce à Babel, succès planétaire. Par ses films aussi, Inarritu incarne la mondialisation, puisque de Amours chiennes, son premier long métrage à 21 grammes en passant par Babel, ses films choraux aiment bondir de continent en continent, filant du Maroc au Japon, du Sud au Nord de l'Amérique. Autant dire que son quatrième et nouveau film Biutiful, en compétition au festival de Cannes en mai dernier, était plus qu'attendu. Biutiful sort cette semaine sur les écrans français. Ceux qui aiment Barcelone, la majesté de son architecture, l'animation de ses rues et de ses cafés, en auront un bref aperçu, dans Biutifil. Mais à peine auront-ils admiré les beautés de la capitale catalane que celle-ci livre son autre face… Une ruelle de la vieille ville, une escouade de policiers, et des dizaines de vendeurs à la sauvette bientôt menottés. Le décor est posé : voici Barcelone, vue par Inarritu : une ville sombre et laborieuse, qui accueille tous les miséreux de la planète. «Barcelone a connu une énorme immigration,explique Alejandro Gonzalez Inarritu. Et il me semble qu'on n'en parle jamais, que même les Catalans connaissent peu cette communauté vibrante, multi-ethnique, merveilleuse. Comment trouver du travail ? Comment nourrir sa famille ? Faire le portrait de ces immigrés, les intégrer à l'histoire, sans les juger, sans en faire des victimes ni des bourreaux, me semblait logique, naturel et pratique.» Parmi ces immigrés, Uxbal, un petit malfrat. Uxbal n'a rien d'un personnage sympathique. C'est un rapace, qui n'hésite pas à exploiter plus misérable que lui. Mais c'est aussi une victime, qui élève seul ses enfants dans un taudis. Uxbal a l'air d'un roc, mais il est en fait malade, atteint d'un cancer en phase terminale. C'est l'acteur Javier Bardem, qui a obtenu à Cannes le Prix d'interprétation pour son rôle, qui donne force et intériorité à cet homme au bout du rouleau. «Ma proposition en tant qu'acteur était de jouer un personnage qui est véritablement assiégé par son milieu, par la corruption et l'exploitation qui y règnent. Il doit se soigner par l'amour et la compassion envers ses enfants, sa femme, ses frères, les immigrants, sauf que le monde extérieur ne le lui permet absolument pas. C'est ça ce que le film décrit, cette lutte que livre le personnage, une lutte très intériorisée et très intime.» A l'image de son personnage, Uxbal, obsédé par l'ordre, la morale, le sens du devoir dans un milieu où tout n'est que chaos, Biutiful est sans doute le film le plus classique à ce jour d'Alejandro Inarritu. D'ordinaire habitué aux histoires complexes et aux montages au millimètre, le cinéaste mexicain adopte ici une forme plus apaisée, plus fluide que d'ordinaire. «Je crois qu'ici, délibérément, nous avons fait le portrait d'un homme en chute libre qui lutte contre le destin, qui, avec dignité, tente de se sortir du chaos, de se purifier par tous les moyens. Je ne crois pas que ce film soit un mélodrame; pour moi, c'est une tragédie…» Une tragédie, dont Javier Bardem est la victime et le héros, le roi fauché d'une Barcelone souterraine dont seul Inarritu aura su faire ressortir la beauté paradoxale.