Par Khaled TEBOURBI Assurément réjouis et rassurés nos amis musiciens à la suite des dernières grandes décisions présidentielles. La création des «Journées musicales de Carthage» est une conquête pour la musique tunisienne qui n'a plus, désormais, de complexes à nourrir vis-à-vis des arts visuels. De même que la recommandation ferme de sanctionner toutes les formes de piratage artistique : un marché se libère ainsi pour nos créateurs, et à moyen et long terme, on l'espère, des perspectives de relance et de prospérité. Maintenant soyons justes: ce que le Chef de l'Etat offre ici au secteur musical, à l'instar des autres professions artistiques, résulte, encore une fois, d'une volonté politique de consolider et de renforcer les acquis de la culture dans notre pays. La question, dès lors, est toute posée : quelle est la part des artistes eux-mêmes dans cette réforme impulsée d'en amont ? Que font, pour ne citer qu'eux, nos compositeurs et nos chanteurs pour être à la hauteur de ce soutien constant ? Quelle est la place de la musique et de la chanson de qualité dans nos espaces audiovisuels ? Quelle attention particulière la critique accorde-t-elle aux valeurs et aux talents? Quelles ressources consacre-t-on à l'éducation artistique des publics ? On ne veut désigner personne mais l'impression, depuis quelques années, est que les protagonistes se complaisent, presque, à attendre que l'on s'occupe d'eux. On les entend souvent parler de subventions, de protection, mais sur le terrain, dans le concret, que proposent-ils en contrepartie ? Revenons à la chanson. De quoi croit-on que son festival ait souffert ? Et pourquoi ses défenseurs eux-mêmes ont fini par s'en lasser ? La réponse est simple: personne ne se met plus au labeur, personne ne s'applique plus à la tâche. Le pécule des festivals, le business des galas de noces, la garantie (permanente) de l'aide à la création, ont «comme chassé» les muses. Ajoutons-y l'excuse des droits artistiques qui fait rengaine, et le panorama d'une musique qui s'abandonne à l'assistanat, à la routine, aura été complété. Tout cela pour dire que les décisions du Président Ben Ali relatives à l'édification d'une Cité de la culture, à la protection de la propriété littéraire et artistique, à la création des JMC, balisent la voie aux artistes créateurs eux-mêmes : ils ont les budgets, ils ont les espaces, ils ont les lois : la balle est d'ores et déjà dans leur camp. En tout et pour tout Cela va peut-être surprendre mais l'excellent tryptique du Pr Samir Marzouki sur les handicaps de la littérature tunisienne de langue française (la presse des 11-17 et 24 février) rejoint en partie notre question. Le Pr Marzouki déplore les intrusions, les arrivismes, les «copinages» et les «folklorismes» qui investissent, de plus en plus, le domaine de l'édition et du livre. Il évoque aussi le recul de la langue de Voltaire jusque dans des écrits et chez des auteurs supposés confirmés. D'accord sur tout, mais pardon d'observer ceci‑: — Que, là non plus, (dans l'édition et dans le livre) les intéressés ne font pas grand-chose pour protéger leur métier. Ne parlons pas des difficultés de la production, on trouvera bien un jour les moyens d'en venir à bout. On s'interroge sur la création poétique et romanesque elle- même. Est-elle suffisante, satisfaisante? Autrement dit, pourquoi la corporation des écrivains et des poètes, pourquoi la critique littéraire sont-elles impuissantes à mettre de l'ordre dans leur milieu? Tout se passe, en fait comme si le flou et la confusion, n'incommodent personne. Les «faussaires» et les «pseudos», on comprendrait à la limite, mais les meilleurs, se peut-il? Le problème, en fin de compte, est général. M. Marzouki parle de grammaire et de syntaxe, soyons francs à notre tour‑: le journalisme de langue française souffre lui aussi, et de plus en plus, des mêmes travers. Et, «confrérie» oblige, on n'en pipe mot! Nos collègues, critiques d'art, de cinéma, de théâtre nous rappellent à chaque fois, qu'en ce qui les concerne aussi, les repères sont pratiquement perdus, qu'ici et là, par mille et un détours, des «inconnus à l'adresse» se faufilent et élisent domicile. Les arts et la culture connaissent, sans aucun doute, une crise de hiérarchie et d'autorité. C'est aussi aux vrais artistes et aux vrais créateurs de la culture de prendre le problème en charge, et de faire, comme l'on dit, le ménage. Et pas seulement à l'Etat.