En matière de communication, la façon de présenter les choses compte autant sinon plus que le contenu de l'information. Depuis 15 jours, d'énormes erreurs stratégiques et de communication ont été commises par les responsables. Ils avaient toujours un coup de retard sur l'opinion publique, il faut le reconnaître. Ces erreurs ont failli mettre en danger la révolution et même la République. En voyant la composition du nouveau gouvernement, on a de fortes raisons de penser que l'avenir sera meilleur. Mais qu'on le veuille ou non, l'attitude des médias officiels depuis la révolution de la liberté sont pour beaucoup dans ce cafouillage. Ils ont, à mon sens, une ou deux décennies de retard sur la mentalité des Tunisiens. Les nouvelles libertés dont jouissent les Tunisiens actuellement sont à tous points de vue extraordinaires, malheureusement les médias officiels ne l'ont pas compris. Je veux croire, contrairement à certains, qu'ils sont de bonne foi et que les mêmes éditorialistes qui ont écrit des pages et des pages à la gloire du dictateur déchu ont en quinze jours retrouvé la liberté de penser et d'écrire, je suis prêt à le croire. Mais la méthode n'y est pas. L'originalité de l'information, l'effet de surprise, la nouveauté et, bien sûr, les sujets traités, ces questions qui minaient notre société mais qui n'étaient jamais évoqués, tout y est sauf… le ton, les tournures de phrases, le décor, la tenue vestimentaire à la télévision, la phraséologie, bref il se dégage encore une impression de malaise. Une impression de surfait, de fragilité, de manque de sincérité et parfois de faux qui provoquent la méfiance sinon la défiance du public envers l'information transmise. Tous ceux qui ont vécu sous l'ancien régime le comprennent bien ou tout du moins le ressentent, nos médias nous laissent encore imperceptiblement penser que tout peut basculer de nouveau vers une information officielle instrumentalisée, vers un traitement partial de l'information et vers le culte de la personnalité. Par une espèce de naïveté, doublée d'un machiavélisme, les responsables dans l'ancien régime ont pensé pouvoir bâillonner l'information durablement. Les outils utilisés sont connus de tous, les méthodes un peu moins. En tout cas, ils n'ont pas totalement échoué, car il faut croire qu'ils ont certainement réussi à formater durablement certains esprits, dans les deux camps (public et journalistes) mais de façon totalement opposée. Une logorrhée incompréhensible par l'immense majorité des Tunisiens a été abondamment utilisée, au bout d'une phrase, tout Tunisien pouvait deviner la suite du discours. Les mots, le style, le ton, tout était codifié mais ils n'ont pas compris assez vite que la réaction du public est aussi devenue stéréotypée. Les anciens et les nouveaux responsables n'ont pas compris combien l'exaspération était grande. Encore une fois depuis le 14 janvier 2011, il est indéniable que les médias officiels, écrits et parlés, abordent tous les sujets ou presque sans tabou mais ils ne sont pas arrivés à se débarrasser du style "Pravda", de l'imperceptible et c'est là où le bât blesse. La façon de présenter le journal télévisé, de donner une information dans le journal La Presse, de parler du Premier ministre ou d'un responsable rappelle trop de mauvais souvenirs. En 23 ans, le Tunisien est devenu expert en lecture entre les lignes. Il devine les intentions au moindre signal. Un mot, une image, une allusion suffisent aujourd'hui pour rejeter l'ensemble d'un discours qui est peut-être vrai, utile et sincère. C'est peut-être regrettable pour certains, je ne le pense pas, au contraire nous devons conserver ces réflexes et même si l'essentiel a été fait sur le chemin de la liberté, le plus dur reste à faire pour les médias : reconquérir la confiance du Tunisien.