La date du 14 janvier 2011 sera à jamais gravée dans la mémoire de tout Tunisien. Espérons qu'elle constituera véritablement un changement de cap pour toute la société tunisienne. C'est un moment historique qui doit interpeller toutes les forces vives de la nation pour explorer les voies d'amélioration dans tous les domaines. A cet égard, il en est un qui me semble commander particulièrement notre bien-être, à savoir le domaine économique et en particulier la vie des entreprises. Pour résumer cette idée, on peut reprendre à notre compte cette fameuse citation : ce qui est bon pour l'entreprise tunisienne est bon pour la Tunisie. Une des questions les plus débattues à ce sujet concerne la gouvernance des entreprises, qu'elles soient publiques ou privées. En fait, sa centralité s'explique par son impact sur la performance de l'entreprise, puisque la mission des dirigeants est de créer de la valeur pour l'ensemble des parties prenantes de l'entreprise. Mais disons-le d'emblée, la piètre qualité de management de nos organisations s'explique par les facteurs inhibant de l'environnement économique, social et politique. En fait, cet environnement permettait et favorisait une gestion chaotique caractérisée par le recours injustifié à l'autorité, la prééminence de l'avis du «président» et l'absence d'éthique. En fait, le gouvernement de l'entreprise est l'image fidèle du modèle de gouvernement en place qui gérait le pays en l'absence de toute légitimité. Peut-on dégager des caractéristiques communes aux pratiques managériales des entreprises d'avant le 14 janvier 2011 ? Pour se prononcer, je puiserais dans mon expérience personnelle de cadre dirigeant dans des entreprises publiques à caractère non administratif. a. Management despotique Le pouvoir est concentré entre les mains d'un seul homme — le P.-d.g. ou le directeur général — au détriment du conseil de l'entreprise ou du conseil d'administration, censé normalement agir dans l'intérêt de l'entreprise. Cette situation d'asymétrie va se traduire par une marginalisation du conseil d'entreprise et de la direction générale représentée essentiellement par les directeurs et les cadres responsables. Comment en serait-il autrement, alors que nous savons que sa désignation est de nature politique (rattachement ou parti au pouvoir) et qu'il n'a aucun compte à rendre aux détenteurs légitimes du pouvoir (conseil de l'entreprise). Peu de mécanisme de contrôle, de contre-pouvoir n'existent, il jouit donc d'une certaine impunité, source de tous les abus. Ses désirs sont systématiquement recherchés afin de servir d'aiguillon aux différents opportunistes qui veulent s'accaparer des privilèges auxquels ils ne peuvent prétendre dans un système plus équitable. Il se permet des écarts avec la réglementation : il est guidé par une règle de gestion implicite qui fait prévaloir ses intérêts personnels sur ceux de l'intérêt général. Il ne s'embarrasse pas de transgresser la loi pour assouvir ses desseins. Pour ne prendre qu'un exemple, les recrutements vont bénéficier à des proches qui ne remplissent pas toujours les critères exigés par la réglementation. Ce style de management renvoie à un modèle qui a valeur d'exemple venu d'en haut, celui du chef-président omnipotent et omniprésent. b. Management coercitif Le dirigeant despotique va instaurer un système de pilotage fondé sur la suspicion, l'absence de confiance et la sanction démesurée par rapport à l'acte. L'intimidation devient alors une politique qui fait taire toute velléité de donner un avis contraire. La délation est fortement encouragée en l'absence d'un système d'information fiable et pertinent. L'autorité est exercée à tort et à travers, l'essentiel est de faire régner la peur et l'arbitraire. Il n'est pas rare de se faire raconter qu'untel est victime d'une sanction sans qu'elle soit appuyée véritablement par des motifs sérieux. Des sanctions sont prises sans consulter les directeurs concernés. Pour faire régner la terreur, un système de flicage est mis en place. Pour s'en convaincre, il n'y a qu'à regarder le personnel qui transite par son bureau, du petit ouvrier au plus gradé. c. Management inéquitable Quoi de plus désastreux pour une organisation que d'ériger en norme de conduite l'injustice. Par l'octroi de faveurs indues, on creuse le lit de la démotivation, du désintérêt et de la négligence. Par la promotion de cadres non méritants, on sonne le glas de la valeur travail, de l'investissement et de l'abnégation. Barrer la route à la méritocratie et à la qualité et la médiocrité vous revient à la figure comme un boomerang. C'est hypothéquer à terme tout élan de croissance et de développement. S'il est un facteur-clé de succès de la réussite d'une organisation, c'est bien le sentiment de justice et d'équité. Ce diagnostic quelque peu virtuel s'applique à la plupart de nos organisations, notamment celles travaillant dans le secteur public. En effet pour réussir cette aventure qu'est la gestion d'une entreprise, quelques principes directeurs doivent être rappelés : • Elaboration d'une mission claire et d'une stratégie d'accompagnement appropriée; • Affectation de moyens humains et matériels à même de rendre viable ce projet; • Direction compétente et intègre qui se plie aux exigences de l'éthique et de la responsabilité; Pour conclure, nous estimons que le changement d'environnement procuré par la révolution du 14 janvier 2011 constitue une opportunité de redressement et de réorientation dont la concrétisation relève en partie de la seule volonté des entrepreneurs et gestionnaires de notre pays. Cela suppose auparavant la mise à niveau d'un environnement politique, économique et social favorable auquel doivent contribuer toutes les composantes de la société civile.