Après la révolution du 25 janvier, quelque chose va changer dans la fiction égyptienne C'est évident, diriez-vous, qu'après une révolution, tout doit changer, mais il faut laisser le temps au temps. Les peuples libérés de la dictature ont d'autres chats à fouetter que de se préoccuper du menu télévisuel ramadanesque. Absorbés par la réalité sociale et politique, ils ne se demandent pas encore quel genre de feuilleton va-t-on leur servir après la rupture du jeûne. Mais les professionnels de la fiction, eux, ne perdent pas le nord. Il ne faut pas que leur gagne-pain soit «affecté» par la révolution. Alors, ils se sont quand même remis à tourner, mais dans de nouvelles conditions. En Tunisie, les chaînes de télévision, uniques producteurs de fiction, ont choisi de réaliser des «sitcoms», séries comiques à petits budgets, juste pour ne pas rompre avec «la tradition». En Egypte, le plus grand producteur de fiction arabe avant la Syrie, les privés, qui connaissant parfaitement bien le marché, ont tout de suite compris que pour ne pas chômer, il leur faut adopter de nouvelles stratégies de production. Il faut surtout qu'ils revoient à la baisse les salaires des stars. Ces stars reçoivent, semble-t-il, des cachets faramineux. Car, les pays du Golfe qui achètent les feuilletons en exclusivité, donc très cher, se soucient plus des têtes d'affiche que du contenu. On nous informe, à titre d'exemple, que le fameux Zohra et ses cinq époux, produit en 2010 et campé, dans le rôle-titre par le nouveau sex-symbol égyptien Ghada Abderrazak, a été acheté à deux millions de dollars. Ce feuilleton est largement rentré dans ses frais. Corruption Comme dans tous les secteurs, la révolution a permis de dénoncer des pratiques douteuses. En Egypte, le domaine de la fiction n'a pas échappé à la corruption. On nous apprend également que certains dirigeants de l'Union de la radio et de la télévision égyptienne (producteur officiel), qui n'avaient de comptes à rendre à personne, vendaient des feuilletons à des prix forts (75% du coût au lieu de 20%) et partageaient la cagnotte avec leurs clients. Résultat, les caisses sont presque vides. Le malheur des uns fait le bonheur des autres. N'ayant plus de concurrents, les chaînes privées vont baisser leur prix d'achat. D'autant plus que depuis le 25 janvier 2011, elles n'ont plus assez de publicité, leur source principale de fonctionnement. Conclusion : l'Egypte qui produit 64 feuilletons par an, dont 54 diffusés au mois de ramadan, ne produira cette année que 20 à 25 fictions, à raison d'une fiction par société de production. Une question s'impose : est-ce que ces changements vont influer, à court ou à long terme, sur la qualité ? Interrogé lors de notre voyage au Caire en mars dernier, Wael Abou Al Magd, ancien directeur commercial au Secteur économique de la Télévision égyptienne et travaillant actuellement dans une société privée, avoue être optimiste malgré tout. Car, selon lui, une chose est sûre : le feuilleton égyptien sera enfin débarrassé de la «dictature» des stars, qui interviennent souvent sur le contenu pour satisfaire leur ego. Et Magdi Saber, scénariste, qui nous accompagnait pendant l'entretien, d'ajouter «en tant qu'auteurs, nous pourrons enfin rêver librement. Les réalisateurs, quant à eux, pourront se permettre de découvrir de nouveaux talents».