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Vitalité, comme tu nous manques!
Autrement Dit
Publié dans La Presse de Tunisie le 13 - 07 - 2011


Par Bady Ben Naceur
Mon ami S.H., éminent philosophe qui défend la Révolution loin des agitations démesurées des studios de télévision et des salles de congrès, n'a eu de cesse, depuis le 14 janvier, de me défroquer de l'habit emprunté de l'ancien système. Il l'a fait sans heurter ma sensibilité, tout comme en janvier 78, lorsque la plupart des quotidiens de la place furent très impopulaires, face aux grèves et à l'agitation du peuple tout entier. Il l'a fait même à l'endroit du «pseudo», avènement du 7 novembre auquel sa perception critique aiguë ne croyait pas à un tel «changement» aussi spontané, mais plutôt à un coup d'Etat, purement et simplement.
Mon ami S.H. m'a fait m'indigner sur les pratiques d'un journalisme culturel, muselé et sans doute le plus exposé, parmi les services rédactionnels, à la vindicte du système. Depuis le 14 janvier, il m'a rouvert la voie sur les grands penseurs modernes «qui ne sont pas forcément ceux de notre temps»‑: Kant, Hegel, Marx, Nietzsche, ainsi que d'autres auteurs oubliés sur les bancs des lycées et des universités.
Des penseurs qui n'avaient plus droit de cité sur nos colonnes, hormis dans les suppléments littéraires où l'on taisait leurs excès de langage, leurs accents ou leurs codes révolutionnaires.
L'échange de livres que nous n'avions plus revus depuis belle lurette sur les rayons des librairies et même des bibliothèques, m'a ainsi permis de me ressourcer et de me dire enfin, face à cette liberté retrouvée et si longtemps réprimée‑: «Quoi de plus beau que la lecture et le retour à ce gai-savoir, savoir total et sans la fatale censure, en ces temps révolutionnaires où tous les “Dégage” sont permis?»
Depuis des semaines aussi, j'ai rouvert mes cartons de livres. Cartons poussiéreux comme autant de boîtes à Pandore desquelles des âmes endormies ont ressurgi, me tutoyant ou me vouvoyant avec un certain reproche‑: celui de les avoir oubliés. A commencer par Le contrat social où Jean-Jacques Rousseau, sans me regarder, me murmure le plus simplement du monde‑: «Tu vois, tu avais encore besoin de moi. Je peux aider la révolution tunisienne à mettre un peu d'ordre dans son fourbi de lois, face aux récalcitrants.» Et Socrate et Platon qui me disent d'une seule voix‑: «Nous allons reprendre les choses depuis le début». Et Gorki et Romain Rolland ceci ‑: «La révolution russe? Il ne faut pas la confondre avec votre pseudo-ère du changement. Nous, c'est le 7 novembre 1917.Voulez-vous des idées pour votre 14 janvier? Tenez, voici Lénine, Trotsky, Mao et même la Perestroïka!»… Ah! Voici aussi pour vous les femmes, relisez La répudiation de Rachid Boujedra, Les chemins de la liberté de la Beauvoir, la poésie d'Aragon toute vouée à Elsa et à la patrie. Tout cela parmi les Camus, Sartre, Artaud, Bataille, Franz Fanon.
Même «Love Story» qui pourrait bien être le début d'une histoire amoureuse avec le Printemps tunisien.
La lecture est une question d'imprégnation. Les livres sont des paroles vivantes qui alimentent nos pensées, nos intelligences, sur différents registres. Leurs auteurs sont toujours vivants car, à l'origine, ces corpus édités, synthétisés, ont d'abord été «un acte fondamental», comme le dit si bien la poétesse libanaise Vénus Khoury-Ghata. Celui de «noircir des pages jusqu'à épuisement des mots et surgissement de ce personnage que tu vois pour la première fois» et qui va sûrement mûrir en nous, grandir, se métamorphoser, échapper à son auteur même, au point de nous communiquer à sa place les vérités primordiales de l'existence.
Mais, en fait, qui sommes-nous? D'où venons-nous? Que faisons-nous? Où allons-nous, tunisiens que nous sommes, maintenant que la révolution est arrivée?...
Le énième ouvrage que je reçois de mon ami le philosophe est celui de Gilles Deleuze «L'Ile déserte et autres textes»(*). Ce recueil se compose, pour l'essentiel, d'articles, de comptes rendus, de préfaces, d'entretiens, de conférences déjà publiées mais qui, selon David Lapoujade, responsable de cette édition, «ne figurent dans aucun ouvrage existant de Deleuze». Ouvrage rarissime et que l'on peut, comme le disait Baudelaire à propos des «Fleurs du Mal», ouvrir à n'importe quelle page pour y découvrir qu'il s'agit de retrouver une certaine «vitalité». Et cela est aussi valable pour notre révolution, la vitalité!
Le présent ouvrage, sans doute introuvable aujourd'hui, est agréable à lire en été. Vous imaginez vous enclencher à travers les études profondes de Deleuze d'abord par un texte sur «L'île déserte»!
Lisons ce qu'il dit après avoir différencié entre deux sortes d'îles (d'après les géographes) : les îles continentales «îles accidentelles et dérivées»; les «Îles océaniques» originaires, essentielles:
«Les hommes qui viennent sur l'île occupent réellement l'île et la peuplent mais, en vérité, s'ils étaient suffisamment séparés, suffisamment créateurs, ils donneraient seulement à l'île une image dynamique d'elle-même, une conscience du mouvement qui l'a produite, au point qu'à travers l'homme, l'île prendrait, enfin, conscience de soi comme déserte et sans hommes.».
Le texte, long et riche d'énumérations sur les notions d'îles et de déserts, nous renvoie naturellement, spontanément, aux îles tunisiennes et à leur situation actuelle. Djerba, bien sûr, rattachée à la mythologie d'Ulysse, des sirènes et du lotos, alors qu'un développement touristique effréné a, en partie, détruit son identité. Ceci, sans oublier les défigurations, sauvages ou contrôlées, de son territoire et la désorganisation de son terroir, au nom d'une certaine réappropriation via une «modernité» galvaudée et même à travers des cultures et des arts importés. Comme dans l'île de Robinson, on voit déjà se profiler la mort certaine de la mythique Djerba. Gilles Deleuze nous parle aussi de Suzanne et la Pacifque, un livre de Jean Giraudoux où la mythologie de l'île «meurt encore d'une manière parisienne», cette fois, Kerkennah, La Galite, Zembra, Zembretta, Kuriat sont aussi ces petites îles que beaucoup de Tunisiens du continent ne connaissent pas, rêvent encore de visiter. Elles ont gardé, assurément, quelque chose de la vie mythologique de l'île déserte. Djerba est devenue une île «faussement capitaliste» et qui vit des temps de vaches maigres, durant cette révolution. Les autres sont plus indigentes et indigènes et elles attendent, de se recréer grâce à la révolution. C'est-à-dire de re-commencer à devenir des îles réellement désertes. Remonter à leurs origines.
D'autres textes de Gilles Deleuze sur l'art, les artistes et la Révolution (c'était en 1968, avec son Mai et ses barricades), nous renvoient dans leur ensemble, et dans le style percutant du philosophe, à la notion de «vitalité» que nous avons tenu à garder dans le titre de notre rubrique de ce jour. Pourquoi? Parce que c'est cette notion de «vitalité» qui nous manque le plus en ce moment : vitalité de la pensée politique et sociale, vitalité de la pensée culturelle et artistique. Toutes vouées à cette Révolution, normalement.
Ceci, sans oublier la psychanalyse qui a besoin de s'adresser à une «vitalité» chez les malades (du commun des citoyens tunisiens et pas seulement des arrivistes et des bourgeois d'hier) que les malades ont perdue.
Terminons par cette citation chère à l'auteur de tant de paradoxes, seuls ferments d'une «revitalité» de la pensée et dont il croyait dur comme fer que Mai 68 réussirait ceci : «La vitalité philosophique est très proche de nous, la vitalité politique aussi. Nous sommes proches de beaucoup de choses et de beaucoup de répétitions décisives et de beaucoup de changements».
La vitalité, c'est une absence radicale d'amertume, de tragique et d'angoisse.
Sinon, allez voir le médecin, le pharmacien ou nos facebookeurs, qui vous diront : «Plus jamais peur!!...»
(*) Dans la collection «Paradoxe-textes et entretien 1953-1974»: Ed. de Minuit 2002


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