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Le Musée de Ksar-Saïd : un patrimoine à sauvegarder
Opinions
Publié dans La Presse de Tunisie le 14 - 07 - 2011


Par Abdelmajid KRAIEM*
Une tare principale caractérise l'action muséographique en Tunisie : l'époque moderne et contemporaine est négligée et sciemment marginalisée. Aucun projet digne de ce nom ne lui est ,en effet, consacré si ce n'est ces prétendus musées d'histoire du mouvement national qui ne relèvent pas tous d'ailleurs du ministère de la Culture et qui ne sont, en fait, que des lieux de mémoire dans lesquels on a installé des fac-similés de documents historiques sans originalité ni attrait. Plus de quatre siècles de notre long passé se trouvent ainsi gommés de notre mémoire et non exposés aux jeunes générations qui, du reste, fréquentent peu les musées.
On n'est pas sans connaître les raisons profondes qui ont présidé, depuis l'indépendance, à cette attitude à l'égard de notre passé récent : la période moderne qui débute avec l'occupation ottomane en 1574 est assimilée — improprement mais à dessein — aux règnes husseinites qui, eux, ne commencent, en fait, qu'en 1705.
En 1957, lorsque Bourguiba — qui fut assurément un grand homme – proclama la République, il se présentait comme l'homme providentiel qui a mis fin à la longue nuit coloniale mais qui a, aussi, aboli une monarchie «prévaricatrice et corrompue».C'était là une lecture politique et idéologique qui se justifiait peu ou prou, à un moment où le nouveau régime était en quête de légitimité et s'attelait à asseoir son autorité. Et comme il ne pouvait encore se prévaloir d'aucune grande réalisation, du moins pouvait-il dénigrer, à volonté, le régime précédent et se présenter comme l'annonciateur d'une nouvelle ère faite d'équité et de bonne gouvernance et où les ennemis du peuple et de la«nation» n'auront plus droit de cité.
Cette manière d'instrumentaliser le passé et d'en donner une lecture sélective et tronquée perdurera en Tunisie, même après la destitution du président Bourguiba en 1987. Elle sied assurément aux politiques mais elle ne peut convenir aux historiens et aux muséographes professionnels qui, eux, sont mus par d'autres mobiles scientifiques et déontologiques. Ils l'ont toujours montré lorsqu'ils ont édifié des musées relatifs à l'Antiquité ou au Moyen Age, il n'y a aucune raison pour qu'ils n'en fassent pas autant, lorsqu'il s'agit de l'époque moderne et contemporaine.
La nouvelle donne introduite par la glorieuse révolution du 14 janvier 2011 constitue, à notre avis, un moment privilégié pour revoir notre politique muséographique et réhabiliter les siècles récents de notre histoire en les présentant d'une manière impartiale et objective.
Il va sans dire que l'objectif principal n'est pas forcément de contester ou de mettre en cause le peu qui a été fait dans ce domaine, mais de l'améliorer et de le compléter en vue de l'insérer dans une vue globale embrassant toutes les composantes de notre histoire nationale.
Bien entendu, la condition sine qua non pour réussir un projet muséographique est de disposer de collections présentant un intérêt majeur pour le public tant du point de vue de leur valeur historique qu'artistique ou symbolique. A cause du retard pris dans ce domaine, un effort considérable reste à faire pour acquérir, par divers moyens dont les dons, les pièces maîtresses illustrant l'évolution multiforme de notre pays au cours de l'époque moderne et contemporaine (vie politique et institutionnelle ,vie culturelle et artistique, infrastructure, mœurs et traditions, etc.)
Dans cette perspective, il y a lieu de rappeler qu'une expérience avait été tentée depuis 1981 de créer un musée d'histoire moderne et contemporaine de Tunisie installé au palais de Ksar Saïd, à proximité immédiate du Musée national du Bardo. Pour des raisons diverses, dont certaines restent à élucider, ce musée ne fut jamais inauguré et son ouverture était, à chaque fois, renvoyée aux calendes grecques.
En 2007, un budget conséquent lui fut, certes, alloué mais, conformément aux consignes de l'ancien directeur général de l'Institut national du patrimoine, celui-ci devait être consacré à la seule restauration du bâtiment. C'était perdre de vue l'essentiel : la sauvegarde des collections du musée qui étaient menacées de déperdition. Quant on palais, il était (et est toujours) solide et son état n'inspire aucune inquiétude.
Un palais somptueux
Le musée devait être installé dans un palais du milieu du XIXe siècle qui constitue un joyau du patrimoine monumental tunisien de cette époque. Connu initialement sous le nom de Bourtal, l'édifice avait été construit par Ismail Es-Sounni ,haut dignitaire de l'Etat beylical et beau- frère des beys Mohamed et Mohamed Es-Sadiq. En 1867, ce personnage fut accusé de complot contre le bey régnant Mohamed Es-Sadiq et exécuté. Le bey s'empara du palais, l'appela à titre propitiatoire Ksar Saïd ( Le palais bienheureux) et s'y installa, en 1869, après y avoir introduit de grandes transformations .
Par son architecture et son décor, Ksar Saïd s'apparente aux palais et demeures beylicaux et aristocratiques de la Tunisie du XIXe siècle : on y décèle de profondes influences européennes, mais aussi une fidélité sans faille au répertoire architectural et décoratif local. Ce syncrétisme est loin d'être un mélange des genres mais une synthèse réussie où cohabitent harmonieusement deux styles assumés et également maîtrisés par les bâtisseurs du palais. D'où l'originalité et l'élégance du monument.
L'influence européenne est d'abord visible dans l'architecture générale du palais : la primauté est donnée au premier étage, devenu ainsi la partie noble de l'édifice. On y trouve aussi bien les salons d'apparat que les appartements privés du bey…
La décoration intérieure atteste également l'influence européenne massive. Tous les murs sont abondamment revêtus de magnifiques carreaux de céramique importés essentiellement d'Italie et de France...
Etait également d'importation le marbre, provenant de Carrara en Italie; il est visible dans les colonnes et les chapiteaux, dans les encadrements des portes et les pavements, etc.
Toutes les peintures exécutées sur les plafonds sont également de facture italienne, tout comme sont italianisants les meubles, les teintures, les accessoires d'ameublement, tel que nous le montrent des photographies et des cartes postales du début du XXe siècle.
Cette prédilection pour le style européen, très nette à Ksar Saïd, ne s'est, cependant pas, traduite par un abandon de la tradition locale. En bien des endroits du palais, des références importantes au répertoire architectural et décoratif local existent. Ainsi va-t-il des deux salons d'apparat du premier étage donnant sur le patio central : excepté les carreaux de céramique qui sont d'importation, tous leurs éléments architecturaux sont établis conformément aux normes et au goût alors en vigueur à Tunis.
Si le salon de droite a, comme la plupart des maisons tunisoises, un plan cruciforme en T avec alcôves le salon de gauche a une voûte en berceau revêtue de magnifiques sculptures sur plâtre exécutées selon la technique fort appréciée à Tunis du nakch hdida et est flanqué de la très caractéristique guinnariyya en bois ajouré
C'est au palais de Ksar Saïd que fut imposé à Mohamed Es Sadiq Bey, le traité du 12 mai 1881, plus connu sous le nom de traité du Bardo et qui marqua le début du protectorat français en Tunisie.
En 1951, Lamine bey fit de Ksar Saïd le siège d'un centre hospitalier qui porta son nom avant qu'il ne soit rebaptisé Aboulkacem Chabbi en 1957.Au cours de cet épisode, le palais subit des modifications et des ajouts qui le défigurèrent ou altérèrent son unité et son décor. Seule la partie «noble» du palais échappa au désastre. Heureusement, car c'est elle qui abrite les collections historiques du musée.
Des collections uniques
Le plus gros des collections est constitué de peintures historiques de grandes dimensions, représentant soit de hommes d'Etat tunisiens ou étrangers, soit des scènes marquantes de l'histoire tunisienne.
On y voit défiler, indifféremment, le premier mouchir Ahmed Bey, portant l'uniforme européen, Mohamed Es-Sadiq bey posant la main sur la Constitution de 1861, Khérédine en général de brigade, chef de la cavalerie beylicale,le Premier ministre Mustapha Khaznadar jeune, Victor Emmanuel II du Piémont -Sardaigne, Louis II de Bavière, etc. D'autres tableaux immortalisent des événements exceptionnels de la vie politique de l'époque comme le retour de l'armée tunisienne de Crimée en 1856, l'entrevue de Mohamed Es-Sadiq Bey avec Napoléon III à Alger en 1860, l'audience accordée à Bruxelles par le roi des Belges Léopold 1er, à Khérédine, envoyé spécial du bey, etc.
Il s'agit toujours de peintures authentiques, portant souvent la signature des maîtres de la peinture européenne de l'époque : Charles Gleyre, Auguste Moynier, Simil de Nîmes, Alexandre de Belle, Charles de Larivière , August Lentz, Feodor Dietz, etc . Au nombre d'une soixantaine — pour ne citer que les plus importantes et les mieux conservées —, ces peinture placées encore dans leurs cadres originaux peuvent constituer le noyau d'une pinacothèque historique nationale appelée à être enrichie par d'autres tableaux que le musée ne possède pas mais dont l'existence est attestée (portrait en pied de Mohamed Bey ou celui du grand argentier de l'Etat Mahmoud Ben Ayed, etc).
Le musée possède aussi un mobilier historique diversifié de fabrication locale ou importé. Il s'agit particulièrement des trônes beylicaux du milieu du XIXe siècle décorés à la feuille d'or et si imposants qu'ils soulevèrent les protestations indignées du Consul général de Grande-Bretagne qui y voyait une volonté du bey de se détacher de l'empire ottoman. Le trône le plus ancien est néanmoins celui d'Ali Bey (1759-1782).En os de cétacé, il est extrêmement simple et ne reflète aucunement la puissance et la stabilité de l'Etat tunisien au milieu du XVIIIe siècle. Sagesse beylicale qui donne à méditer. La principale pièce reste cependant le guéridon de 1881,celui-là même sur lequel ont été signés, à 83 ans d'intervalle, le traité de protectorat et la loi restituant les terres coloniales aux Tunisiens. N'est - ce pas là des documents historiques de la plus haute importance dignes d'être montrés aux jeunes générations qui y verraient des témoignages concrets de leur passé, indépendamment de tout jugement qu'ils puissent porter ou colporter sur cette époque.
Le musée dispose également d'une collection de décorations et de médailles beylicales et républicaines datant du XIXe et du XXe siècles. Il s'agit, le plus souvent, du nichan el Iftikhar husseinite, fait d'argent et d'émail aux couleurs beylicales, le rouge et le vert. Les autres décorations —beaucoup plus riches parce que faites d'or et de diamants — sont absentes. Tandis que le Musée de la Légion d'Honneur à Paris possède un exemplaire du nichan el Ah-El-Mourassa, probablement celui offert au général de Gaulle par Lamine Bey!
Il est enfin une autre composante des collections du musée de Ksar Saïd qui mérite d'être signalée : les voitures hippomobiles. La plupart de ces carrosses sont dépareillés ou à l'état d'épave à cause du sort qu'ils subirent aux lendemains de la proclamation de la République, en 1957. Certaines pièces sont pourtant récupérables et peuvent être restaurées. L'une d'entre elles semble être un cadeau de la reine Victoria au bey Ahmed.
Il apparaît de tout ce qui précède que le fonds essentiel détenu par le musée de Ksar Saïd est un fonds husseinite .Appeler à sa conservation et proposer son exposition au public ne signifie pas vouloir réhabiliter la dynastie husseinite ou nourrir une quelconque nostalgie monarchique, mais compléter les maillons qui manquent à la longue chaîne de l'histoire tunisienne, notamment sur le plan muséographique inséré dans un circuit qui pourrait s'intituler «Sur les trace des beys et des deys» et englobant par exemple le palais du Bardo, le palais de la Rose, Tourbet el Bey et Dar Othman, Ksar Saïd est à même de drainer un public à la fois local et étranger.
A cet égard, il n'est peut-être pas sans intérêt de rappeler que la dynastie husseinite a régné sur la Tunisie pendant 252 ans d'affilée. Longévité exceptionnelle à laquelle il est difficile de trouver un équivalent dans le monde musulman, excepté la dynastie hafside ou l'empire ottoman lui-même. De même son fondateur, né au Kef, était tunisien de souche, du moins du coté de la mère. La langue arabe était, pour ainsi dire, sa langue maternelle et il ne connaissait pas un traître mot de turc .Porté au pouvoir en 1705 par la volonté des notables de Tunis — civils et militaires — il bénéficia d'une légitimité qui lui permit de chasser, incontinent, les envahisseurs turcs venus d'Alger et de sauver le pays de l'anarchie intérieure.Tous ses successeurs ne furent pas des princes falots ou des rois fainéants. Du moins jusqu'à l'établissement du protectorat qui bouleversa, profondément, la vie politique en Tunisie et réduisit les beys au rôle de comparses impuissants et impécunieux.
Dans tous les pays évolués du monde, le passé national est assumé dans son intégralité, loin des passions et des partis pris politiques ou idéologiques. Le musée de Topkapi à Istanbul n'expose-t-il pas le legs ottoman, alors que beaucoup de ses aspects avaient été pourfendus par Mustapha Kemal Atatürk? En France, le passé monarchique et impérial n'est-il pas présenté dans les musées sans que cela froisse, outre mesure, les convictions républicaines des Français?
En Tunisie aussi, il est peut-être temps d'évaluer plus objectivement l'apport husseinite — et ottoman d'une manière générale — à la civilisation de notre pays et de lever l'ostracisme qui pèse sur lui. C'est une mission scientifique, une entreprise éthique et un devoir de mémoire auquel il ne faut pas faillir.


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