Quelque quarante-cinq étés se sont succédé depuis le jour où le destin nous a jeté dans les bras de cette plage paradisiaque, un peu plus au nord de celle de Sidi Boujaâfar à Sousse. Une modeste petite banlieue venait alors de sortir des entrailles de la perle du Sahel, «Khezama» (lavande). Un série de coquettes villas à quelques mètres de la mer venait ainsi de surgir au milieu d'une immense oliveraie et l'odeur de la mer se mélangeait ainsi à celle des fleurs des figuiers de barbarie et des fleurs d'asphodèle. Nous traversions ces champs pour aller nous baigner. Et à la lisière de la plage il y avait d'autres champs. Tomates, poivrons, courges et courgettes poussaient presque dans le sable de la plage. Seules quelques branches d'acacia aux épines longues et blanches traçaient la frontière entre le sable des champs et celui de la plage. Un vrai miracle. Un peu plus au sud, du côté opposé aussi, des chantiers. Ceux des futurs premiers hôtels de la zone. Aujourd'hui et depuis plus d'une bonne vingtaine d'années et même plus, «Khezama» est devenu le meilleur éclat de la perle du Sahel. Une zone touristique des plus originales, car en plein dans cette vie urbaine grouillante de vie. Une zone touristique qui s'est développée en symbiose avec son environnement humain. Une zone touristique bien enracinée dans son authenticité première et non sortie du néant comme bon nombre de ses semblables. Seul couac et non des moindres, la confiscation de la plage par les hôtels. Une erreur impardonnable d'aménagement qui a fait que ces unités mastodontes masquent la mer et s'octroient le privilège de jouir de la vue, unique dans sa beauté. Sousse a ainsi, hélas, perdu la chance d'avoir une belle corniche. Celle-ci aurait pu s'étaler sur plusieurs kilomètres au lieu de se contenter de celle de Sidi Boujaâfar, très agréable, certes, mais qui fait un peu plus d'un kilomètre, rien de plus. Bizerte, Monastir, Hammamet, et bien d'autres joyaux de la Méditerranée ont chacune leur corniche. Celle de Sousse reste la plus belle. Il lui manque certes des palmiers, mais elle garde toute sa splendeur. Il lui manque des palmiers mais la corniche de Sousse possède un bien meilleur atout. Son carnaval, la fête d'Aoussou. Baba Aoussou fait sa révolution Sortie tout droit d'un mythe, cette fête carnavalesque qui se tient le 24 juillet de chaque année depuis 1958, est la quintessence de tous les mythes entourant cette mer sertie de cultures et de civilisations. Cette mer qui a donné à ces terres qui l'entourent pour l'admirer et la chérir, un cachet bien à elle, une odeur spécifique, un nom hors du commun… une identité. Et nous voilà au milieu des années soixante, ce 24 juillet, veille de la fameuse période d'Aoussou (du calendrier julien) qui s'étale jusqu'au 2 septembre et veille aussi de la fête de la République. Déjà, le carnaval a commencé à endosser le costume du régime totalitaire et de la personnification du pouvoir. D'un vrai carnaval, il s'est transformé petit à petit en un instrument de propagande pour le régime. On montait alors une tribune d'honneur pour le président Bourguiba et ses accompagnateurs face à la mer et la procession comprenait des chars spécialement confectionnés pour mettre en valeur les acquis à la gloire bien sûr du Combattant suprême. La nuit tombée, on procédait aux fameux feux d'artifice pour annoncer la fin du carnaval et le début des festivités marquant la fête de la République. Ainsi, et avec les années, notre sympathique petit carnaval, d'ailleurs le seul en Afrique et dans le monde arabe, est devenu un vulgaire instrument de propagande surtout à partir de 1988. «Baba Aoussou», notre cher carnaval, peut donc cette année s'affranchir de la mainmise du politique et de la propagande pour redevenir un vrai carnaval avec un show digne de sa réputation. Le Carnaval peut ainsi s'en donner à cœur joie (malgré les tristes événements qui viennent de temps à autre endeuiller notre pays) à sa vraie vocation, perpétuer une vieille tradition folklorique et donner à la ville l'occasion d'attirer encore plus de visiteurs. Les chars ont été, paraît-il, détruits lors des événements de janvier. Voilà une bonne occasion pour en confectionner d'autres. «Ya Baba Aoussou dewini medd'a linhessou», invoquait-on avant de s'adonner à une bénéfique baignade (Ô père Aoussou, guéris-moi du mal que je ressens). Et ce mal était la dictature, la corruption, le viol de tout un peuple. Avec un baptême symbolique dans notre chère Méditerranée,nous revoilà prêts à construire notre nouvelle Tunisie.