Des observateurs nationaux et internationaux, indépendants et associatifs : une mission fondamentale, un rôle complexe, une lourde responsabilité et beaucoup de rigueur… Voilà ce que requièrent nécessairement la régularité, la transparence et la crédibilité de notre processus électoral. Alors qui sont les observateurs ? En quoi consiste leur mission ? Où en sont les accréditations et qu'en est-il des critères et des conditions? Etat des lieux du côté de l'Isie et des associations. Au 10, rue de Rome, siège de l'Instance supérieure indépendante pour les élections — ancien tribunal administratif — les chronos s'affolent, le remue-ménage est constant, les réunions se suivent et ne se ressemblent pas. L'organisation des premières élections libres et démocratiques est un ouvrage colossal et inédit qui se construit pierre à pierre dans un temps imparti. Outre la préoccupation majeure que constitue à ce jour la faiblesse du taux des inscriptions, des sous-chantiers tout aussi stratégiques poussent ici et là. Celui ouvert mercredi 27 juillet est l'un des moins médiatisés mais des plus importants. Il s'agit de celui de l'accréditation des observateurs. L'Isie y affecte quelques pages de son site et un petit bureau au rez-de-chaussée dit « Bureau des observateurs ». Il restera ouvert jusqu'au 19 octobre prochain pour toute association et tout individu désireux de présenter leurs demandes d'accréditation. Sur le site, l'appel est lancé: « L'Instance supérieure indépendante pour les élections considère la participation des observateurs nationaux et internationaux comme un élément essentiel pour l'évaluation du degré de transparence et de régularité des élections de l'Assemblée nationale constituante… Elle invite tous les candidats éventuels à la mission d'observateur, parmi les personnalités indépendantes, les associations, les ONG nationales et internationales, ainsi que les autres composantes de la société civile, remplissant les conditions requises, à présenter leurs demandes d'accréditation ». Une mission, des conditions et des hommes d'ici et d'ailleurs Zoom sur les conditions requises. On y retrouve une série de critères logiques tels que l'honnêteté, l'impartialité, la neutralité politique… Mais là où les futurs candidats s'étonnent, c'est devant la clause qui exige d'eux de « justifier d'une expérience électorale »… La même réaction se fait alors visible chez ces citoyens honnêtes et volontaires venus se rendre utiles et contribuer à ce chapitre consistant et décisif de notre démocratie naissante : « C'est un critère éliminatoire ! S'indigne ce haut fonctionnaire qui croyait suffisant de se prévaloir d'un bon CV. A moins que vous nous demandiez d'avoir participé aux élections de 2005 ou 2009 ! ». Au bureau des accréditations, l'allusion ne fait pas rire, la scène n'étonne plus guère, l'indignation est compréhensible, mais il faudra décolérer et écouter. Du côté de l'Isie, l'argument est de taille : il est clair qu'on ne parle pas d'une expérience ancienne, mais d'une formation récente en matière d'observation des élections. « Pour une fois que notre pays veut mettre le paquet sur l'évaluation de la régularité et de la crédibilité des élections, il a besoin d'adopter des normes internationales et des règles en usage dans les expériences démocratiques ». Nous répond Mourad Ben Mouelli, membre de la commission des affaires juridiques de l'ISIE, insistant qu'à ce jour, aucune accréditation officielle n'a encore été signée. Elles seront accordées à des observateurs nationaux et internationaux. Du côté national, on dénombre encore seulement 18 demandes issues de personnes indépendantes – les associations attendent de préparer leurs listes. Du côté international, la Fondation Carter est la première et l'unique à avoir soumis sa demande. Elle est déjà présente en Tunisie avec 14 observateurs en attendant son accréditation officielle et le renforcement de ses rangs. Une clique du côté de sa carte d'identité nous dit que le « Carter Center » est une fondation créée en 1982 par Jimmy Carter, ex-président des Etats-Unis et Prix Nobel de la Paix dont le but proclamé est la résolution pacifique des conflits, l'observation des élections, la défense et l'avancée des droits de l'Homme… La fondation a participé notamment à la surveillance du référendum révocatoire de Hugo Chavez du 15 août 2004 au Venezuela. Deux choses sont à retenir de la mission des observateurs : la première est son opportunité en tant que garantie de crédibilité qui rassure les acteurs politiques quant à la régularité de l'ensemble du processus électoral. Les résultats ne peuvent plus, dès lors, être contestables. Les rapports des observateurs auront fourni les preuves de leur crédibilité (ou le contraire). La seconde est la maîtrise dont doit faire montre la mission dans sa globalité et chaque observateur en particulier. Des règles de base sont en vigueur de par le monde. Il est de rigueur que la mission d'observation couvre l'ensemble du processus électoral et non seulement le jour du vote. Elle s'organise géographiquement par bureau, par région et dans l'impossibilité d'une couverture intégrale, par ciblage et échantillonnage des zones dites sensibles. Elle démarre à partir des inscriptions des électeurs, supervise le dépôt des candidatures, leur dépouillement, les contentieux de candidature, le déroulement de la campagne électorale, le déroulement du vote, les résultats et les contentieux des élections. C'est là qu'une connaissance et un savoir-faire sont requis. Chaque observateur étant tenu de se mouvoir à l'intérieur de cette haute responsabilité et de rendre compte à la mission d'un rapport alerte, rigoureux et bien construit. Alors, au-delà de l'expérience confirmée des missions internationales, de quelles qualifications doivent faire preuve des observateurs tunisiens propulsés au cœur d'une inédite mouvance électorale ? Comment justifier d'une expérience électorale en Tunisie ? Depuis l'Isie, la réponse est claire : par le biais d'une formation qui ne relève pas de la compétence de l'instance mais celle de la société civile. Et c'est du côté des associations qu'il faudra, désormais suivre les toutes premières leçons de régularité des élections. Elles sont antérieures au 14 janvier comme l'Association tunisienne des femmes démocrates ou la Ligue tunisienne des droits de l'Homme. Elles sont nées pour la plupart en mars dernier et elles s'appellent Monotoring Media, Parité Egalité, Association tunisienne d'éveil démocratique, ou autres… Nombre d'associations tunisiennes se lancent dans l'aventure électorale brandissant des garde-fous démocratiques, avec en prime cette mission vitale et cette position déterminante d'observation des élections. L'Association tunisienne pour l'intégrité et la démocratie des Elections (Atide) en fait partie. A son actif, vingt bureaux régionaux, une sérieuse coordination avec les autres associations impliquées dans l'observation des élections, des sessions de formations de formateurs suivies par ses membres auprès d'ONG spécialisées tels centre Kawakibi, l'association Democraty Reporting International, l'Association libanaise pour la démocratie des élections et l'Institut arabe des droits de l'Homme. « Quant à la formation des observateurs eux-mêmes, nous la commencerons au mois de septembre prochain et elle sera octroyée à tous nos adhérents désireux de participer à la mission d'observation », explique Moez Bouraoui, président de l'Atide. L'association a ses raisons : la cohérence, l'intégrité, la fiabilité et la complémentarité de la mission. Sceptique quant à l'efficacité des observateurs individuels (à qui rendront-ils compte de leurs rapports et à partir de quelle position?), Moez Bouraoui nous explique en quoi la mission d'observation s'organise, par définition, comme un travail d'équipe auquel les associations sont les mieux outillées. En revanche, c'est un appel à l'adhésion qu'il lance aux candidats. Ainsi et même si le bureau des observateurs du côté de l'Isie continue d'ouvrir ses portes aux demandes d'accréditation individuelles et associatives, pour les candidats à la mission nationale d'observation, l'adhésion préliminaire aux associations spécialisées semble d'une logique évidente et incontournable. Une formation y est garantie et une présélection au moins y est opérée : le futur observateur n'a pas de passé politique et n'a jamais été un faux observateur lors des précédentes élections…