Par Soufiane Ben Farhat Les gens s'attendaient à une annonce d'envergure, sinon déconcertante, dans le discours du Premier ministre M. Béji Caïd Essebsi ce jeudi 18 août. Ils ont déchanté. Mais la surprise fut quand même au rendez-vous. D'abord, pourquoi M. Caïd Essebsi a-t-il parlé ici et maintenant ? C'était attendu en fait. Sinon réclamé à cor et à cri par plusieurs représentants de la classe politique et des instances associatives. Ces dernières semaines, plusieurs faits saillants ont défrayé la chronique. L'accroissement du nombre des sit-in et barrages de routes en est témoin. Durant le seul mois de juillet, 184 cas d'actes de blocage des routes et d'accès aux entreprises ont été enregistrés, soit une augmentation de 80%. Par ailleurs, 156 sit-in ont été enregistrés durant le même mois. Sur un autre volet, plusieurs scandales, fuites et quiproquos ont décrédibilisé les poursuites judiciaires à l'encontre de personnes liées aux circuits de corruption. L'image de l'enceinte judiciaire en fut entachée. La multiplication des cas litigieux et douteux fut telle que des manifestations furent organisées, notamment par l'Ugtt, l'Ordre des avocats, les associations judiciaires et la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l'Homme. Manifestations ayant donné lieu à des violences et jets de gaz lacrymogènes à l'hypercentre de Tunis. Ajoutons-y le renchérissement vertigineux de certaines denrées alimentaires sur fond d'accaparement et de spéculations. Et n'oublions guère l'irruption de l'été, de ramadan et bientôt de l'aïd et de la rentrée scolaire. Autant de motifs d'exaspération d'une opinion déjà exsangue et saignée à blanc. Un sentiment diffus de méfiance et de ras-le-bol s'est emparé du citoyen lambda. Les partis politiques et les organisations de masse ont encore enfoncé le clou en brodant sur ce registre. Et c'est de bonne guerre pour ainsi dire. Plus l'échéance de l'élection de l'Assemblée constituante le 23 octobre se rapproche, plus les antagonismes se font davantage aigus et manifestes. La contestation et le déficit de légitimité ont viré à la lame de fond. Et ce n'est guère tombé dans l'oreille d'un sourd. Il fallait que le chef du gouvernement provisoire intervienne. C'était devenu à la limite d'un impératif d'ordre public. Les spéculations allèrent même bon train. Certains journaux et sites électroniques commencèrent à citer quelques noms des nouveaux ministres présumés dans le gouvernement remanié. Fait révélateur, le département de la Justice fut particulièrement l'objet des conjectures et prévisions analytiques. Quel fut, grosso modo, le propos du Premier ministre intérimaire ? J'y suis, j'y reste. De surcroît, je vous invite à mettre la main à la pâte. Ce fut le cas de l'épineux dossier de l'assainissement de la magistrature. Caïd Essebsi appela ainsi les magistrats à parachever l'élaboration, au sein de l'Association des magistrats tunisiens, d'une liste des magistrats corrompus. Le gouvernement prendra dès lors des mesures préventives à leur sujet sitôt la liste établie. Sur un volet connexe, il appela la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la Révolution à établir une liste des personnalités douteuses et appelées à ne plus jouir de l'impunité. Là aussi, le gouvernement prendrait les mesures préventives appropriées. Entendons-nous bien : M. Béji Caïd Essebsi entend jeter la balle dans le camp de ses contradicteurs ou fervents critiques. Il assume désormais manifestement son statut de chef du gouvernement provisoire. Un titre qui l'exaspérait il y a peu, puisqu'il lui préférait le vocable transitoire. La posture est celle d'un fin manœuvrier en somme. La politique est ainsi faite. Même si, en l'occurrence M. Caïd Essebsi donne l'impression d'être par trop réactif, mi-figue mi-raisin. Il a perdu l'initiative et a dû rechercher un consensus improbable auprès des dirigeants des partis politiques dont beaucoup furent plutôt réticents. Ce qui importe toutefois, c'est l'opinion. Nul ne la représente en fait, quelles que soient les prétentions et allégations des uns et des autres. Le Premier ministre intérimaire gagnerait à en regagner la faveur. Parce que le capital sympathie dont il a bénéficié initialement auprès de cette opinion s'est relativement érodé au fil des jours. Et des vicissitudes du quotidien.