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Pour que la Tunisie devienne le «Dragon africain» de la recherche clinique
Opinions
Publié dans La Presse de Tunisie le 04 - 09 - 2011


Par Pr Fekri Abroug*
La Tunisie post-révolution du 14 janvier 2011 fait face à des défis qui n'ont pas manqué de s'imposer à nous au double plan politique et économique. Dans une conjoncture économique internationale morose, nous n'avons d'autre choix que de faire preuve d'imagination et d'ingéniosité, et puiser dans ce que nous avons de plus profond pour réussir cette transition et aborder l'avenir proche dans les meilleures conditions. Nous n'avons pas beaucoup de ressources naturelles mais notre savoir-faire légendaire nous a permis de bien nous positionner dans le secteur des services. Il est un domaine où la Tunisie peut s'enorgueillir d'avoir atteint le firmament des nations grâce à un investissement politico-social jamais démenti : c'est le domaine médical. Qui n'est pas convaincu de la qualité des prestations et des prouesses techniques de la médecine tunisienne ? Ne sommes-nous pas devenus une nation exportatrice de prestations de santé avec des retombées socio-économiques appréciables? Il est néanmoins une niche qui est l'objet de fortes mutations internationales et que la Tunisie se doit d'investir sans délais car nous avons toutes les cartes en main pour réussir : la recherche clinique.
La vie d'un nouveau médicament est loin d'être un long fleuve tranquille. Tout part d'une meilleure compréhension des mécanismes moléculaires et cellulaires d'une maladie, permettant l'identification des cibles d'intervention, et la synthèse de nouveaux composés chimiques actifs. Viennent ensuite les étapes d'évaluation préclinique sur modèle animal d'abord et l'appréciation de la tolérance du produit sur volontaires sains (phase I).
L'efficacité et la tolérance sont de nouveau testées sur des malades (phase II), avant la conduite d'études cliniques destinées à établir définitivement l'efficacité d'un nouveau médicament dans l'indication désignée. Cette étape (phase III) est censée procurer une information exhaustive quant à l'efficacité, l'innocuité, et le rapport coût-bénéfice du nouveau médicament.
Elle est souvent conduite à une échelle internationale et sur plusieurs centres afin de s'assurer de l'extrapolation des effets du médicament à différentes conditions de la vraie vie (ethnies, âge, sexe, association de pathologies etc...). Lorsque toutes ces étapes sont concluantes, le médicament est prêt à la commercialisation et une demande d'autorisation de vente (autorisation de mise sur le marché, AMM) est déposée auprès des autorisés de régulation (direction de la pharmacie et des médicaments en Tunisie, Agence Européenne du médicament en Europe, Food and Drug administration aux Etas-Unis). Toutes les étapes pré-marketing étaient entièrement réalisées dans les pays à forte capacité technologique, et disposant d'un très haut niveau de recherche (Etats-Unis, Europe et Japon). Entre la découverte d'un composé à fort potentiel thérapeutique et la commercialisation du médicament dans sa forme finale, 10 à 15 années sont parfois nécessaires. Quinze longues années et de très grandes dépenses. Les coûts du développement d'un nouveau médicament sont en effet très élevés et surtout en constante augmentation : 800 millions de dollars pour amener un nouveau médicament sur le marché en 2003 (études précliniques, cliniques, production, marketing), contre 2 milliards de dollars pour le même objectif en 2010. Même si le commerce des médicaments génére beaucoup d'argent (735 millards de dollars de chiffre d'affaires de l'industrie pharmaceutique mondiale en 2008), la part investie dans la découverte de nouveaux produits (recherche-développement) reste très élevée (plus de 100 millards de dollars toujours en 2008), et de moins en moins supportable par les multinationales de l'industrie pharmaceutique.
L'augmentation des charges, conjuguée à la globalisation qui a également atteint le secteur de la recherche-développement pharmaceutique, a fait qu'une bonne partie des étapes précédant l'approbation d'un nouveau médicament (phases II et III principalement) sont aujourd'hui délocalisées dans les pays dits émergents. Cela, est devenu possible grâce à la généralisation des procédures internationales standardisées pour la conduite des essais cliniques (International conférence on harmonisation, Good Clinical Practice, ICH GCP) datant d'un peu plus d'une décennie. Les pays émergents réalisent des études de qualité égale à celles préalablement réalisées en Amérique du Nord et en Europe, mais à un coût autrement plus comprimé, permettant ainsi de contenir substantiellement les dépenses glopantes des firmes pharmaceutiques. Les promoteurs peuvent en effet faire l'économie de 60% des dépenses dites externes (représentées principalement par les études cliniques). Ainsi, un nombre croissant d'études sponsorisées par les multinationales de l'industrie pharmaceutique et traditionnellement réalisées dans les pays dits établis (Amérique du Nord et Europe de l'Ouest), est aujourd'hui mené dans les régions dites «émergentes» : 5% de l'ensemble des études sont réalisées exclusivement dans les pays émergents, auxquels il faut rajouter pas moins de 37% d'études qui sont conduites conjointement dans les pays établis et les pays émergents. La dynamique, amorcée il y a 15 ans, se retrouve en mode accéléré ces derniers temps. Entre septembre 2007 et décembre 2008, pas moins de 6.492 sites (près de 5% du total des sites hébergeant des études pré-marketing) ont délocalisé depuis les pays établis vers les pays émergents, principalement les Bric (Brésil, Russie, Inde et Chine). La recherche-développement des nouveaux médicaments, a besoin de recruter annuellement pas moins de 1.282.000 patients pour les besoins de ces études. Les 3/4 de ces patients le sont dans les pays d'Amérique du Nord et d'Europe de l'Ouest, le reste (plus de 300.000) est aujourd'hui recruté dans les pays émergents en matière de recherche clinique. Au plan finances, ces études humaines pré-marketing génèrent un chiffre d'affaires de près de 40 milliards de dollars. Ces dépenses sont dues pour 25% à ce qu'on appelle les coûts internes (production proprement dite des médicaments sous investigation). Le reste va à la rétribution du site investigateur (cliniciens investigateurs, laboratoires, radiologie etc) à hauteur de 25%, et au paiement des structures intermédiaires (50%). Celles-ci correspondent aux Contract Research Organisation (CRO), organisations en principe locales qui agissent au nom du promoteur pour recruter les cliniciens investigateurs, et le représenter auprès des autorités institutionnelles et administratives locales (comités d'éthique) et nationales (DPM pour la Tunisie) pour avoir le permis de conduire l'étude, l'importation des médicaments, de l'investigation etc. Grâce au monitoring conduit par leurs attachés de recherche clinique (ARC), ces organisations s'assurent aussi du respect par les investigateurs des bonnes pratiques cliniques.
Les enjeux économiques sont on ne peut plus clairs : les 3/4 des 40 milliards de dollars investis par les mastodontes de l'industrie pharmaceutique sont à prendre par les pays émergents. Cette industrie aboutirait à court terme à l'emploi d'un grand nombre de diplômés hautement qualifiés. Il y a aussi des retombées stratégiques non négligeables : l'image du pays au plan international, son positionnement parmi l'élite mondiale en recherche-développement pharmaceutique, la dynamique impulsée dans les domaines de la recherche scientifique, de la production pharmaceutique etc.
Dans ce monde en pleine mutation, la part de la Tunisie n'est malheureusement pas à la hauteur de son potentiel. Sur les 6.492 sites de recherche délocalisés entre 2007 et 2008, 0,1% seulement l'ont été vers l'Afrique (Afrique du Sud principalement, et loin derrière Egypte et Tunisie). Malgré tout, la Tunisie est leader de la région Moyen-Orient-Afrique du Nord (Mena) pour le nombre de sites ouverts et participant aux études cliniques internationales. Elle se classe juste derrière Singapour et l'Indonésie dans le top 60 mondial (107 centres en Tunisie contre 290 à Singapour, 114 en Indonésie, 83 en Egypte, et 78 au Liban). Néanmoins, notre pays peut et doit aspirer à mieux et, pourquoi pas, rafler une part plus consistante des dividendes de ce leadership : accès privilégié de sa population aux derniers nés de la recherche biomédicale, plus haute qualification de sa médecine et de ses chercheurs, emploi des diplômés du supérieur, retombées économiques non négligeables. Si nous nous montrons plus attractifs, la recherche clinique permettra à notre pays de doubler en moins de cinq ans le chiffre d'affaires actuel de l'exportation des services de santé. Car notre pays a toutes les cartes en main pour attirer une part substantielle des flux financiers liés à la recherche clinique, et intégrer le club restreint des «dragons» de la recherche-développement. Des atouts non négligeables, des ressources humaines de très haute tenue, la proximité et l'ouverture sur l'Europe. La Tunisie se classe tout simplement 47e mondial en termes de publications médicales. La recherche clinique tunisienne jouit en outre d'une excellente réputation au niveau international. Lors d'une récente réunion de travail que j'ai récemment eue au département de la recherche clinique et du développement de l'assistance publique-hôpitaux de Paris, le directeur en personne et plusieurs membres de son staff ne tarissaient pas d'éloges sur la recherche clinique en Tunisie. Ils ont clairement affiché leur volonté et désir de collaborer avec notre pays et ce dans le très court terme. Ce type de démarche n'a préalablement été fait qu'avec les Etats-Unis et la Chine. Le désir d'une collaboration avec la Tunisie exprimé par le premier promoteur d'études cliniques français (et probablement même européen) nous flatte certes, mais nous impose aussi de faire le nécessaire pour impulser une nouvelle dynamique à la recherche clinique en Tunisie.
En réalité, nous avons juste besoin d'améliorer le cadre législatif pour être plus attractifs tout en continuant à sauvegarder les intérêts des patients. Nous avons également besoin de mettre en place l'organisation administrative qui s'impose. Sur ce dernier aspect, plusieurs modèles existent et nous pouvons nous inspirer de l'expérience des partenaires.
La législation tunisienne actuelle dans le domaine de la recherche clinique a le mérite d'avoir contribué à l'amorce de ce type d'activité dans notre pays et de lui avoir permis d'occuper une position assez confortable au double plan régional et mondial. Elle est en réalité suffisamment attrayante vis-à-vis des promoteurs, et suffisamment protectrice des droits légitimes des patients. A l'usage, certaines failles n'ont pas manqué de se manifester. D'où le besoin d'y apporter les remèdes nécessaires à même de mettre notre législation au diapason des standards internationaux. Une démarche entamée dans ce sens il y a quelques années par la DPM et qui n'a toujours pas vu le jour, devrait maintenant s'accélérer et aboutir dans les plus brefs délais.
La structure, le rôle et le mode de fonctionnement des comités d'éthique locaux des CHU tunisiens, doivent être repensés. Le rôle des comités d'éthique est fondamental dans la préservation des droits des patients. Les études cliniques doivent en effet être réalisées dans le respect le plus strict des droits des patients, des règles d'éthique professionnelle, et des bonnes pratiques cliniques. Jusqu'ici et avant son démarrage, toute étude clinique doit obtenir l'aval des comités d'éthique des institutions participantes, et contracter une police d'assurance couvrant d'éventuels effets indésirables liés à la prise médicamenteuse. Les comités d'éthique s'assurent de l'opportunité de l'étude et vérifient l'adéquation de la méthodologie adoptée. Ils s'assurent aussi que la balance risques-bénéfices est favorable au malade. Dans le cas de médicaments ayant un fort potentiel d'effets indésirables (souvent proposés aux malades ayant les pathologies les plus lourdes justifiant ainsi la prise de risques), le promoteur met en place un comité d'experts chargés de monitorer les effets indésirables. Ce comité est habilité à décider l'arrêt immédiat de l'étude chaque fois que la balance risques-bénéfices devient défavorable au malade. Les patients inclus doivent signer un consentement éclairé après que l'investigateur-clinicien eut expliqué tous les détails de l'étude. Ils ont le droit de quitter à tout moment l'étude clinique.
Dans la prespective du renforcement de cette activité de recherche clinique, le rôle des comités d'éthique doit impérativement être renforcé. Il est vrai que les études internationales multicentriques ne posent en général pas beaucoup de problèmes éthiques, dans la mesure où un avis favorable doit être obtenu auprès de tous les comités d'éthique locaux des institutions des pays participants. Le rôle du comité d'éthique de l'institution siège de l'étude, ne doit cependant pas se limiter à l'émission d'un avis préalable au démarrage de l'étude. Il doit aussi être en mesure de compiler les déclarations d'effets indésirables que les promoteurs sont dans l'obligation de lui faire parvenir régulièrement. Quand la somme d'effets indésirables atteint un niveau tel que la balance risques-bénéfices pourrait pencher du mauvais côté, le comité d'éthique doit être en mesure de demander la suspension de l'étude. Cela n'est pas toujours aisé quand plusieurs études sont en cours dans le même établissement, et quand le comité ne dipose pas de personnel ni de locaux dédiés.
Nous avons parlé plus haut du rôle important joué par les CRO et de l'apport que ces organisations peuvent avoir à l'économie du pays. Jusqu'à une date récente, hormis un laboratoire international disposant d'une structure médicale adéquate pour opérer à partir de la Tunisie, les études cliniques conduites dans notre pays étaient dirigées exclusivement par des CRO basées en dehors de nos frontières. Un mouvement assez timide s'est manifesté ces dernières années, avec l'ouverture de représentations tunisiennes de CRO internationales, ou la création d'embryons de CRO tunisiennes. Cet état de fait n'a plus de raison d'être car notre pays a tout le nécessaire pour monter ce type d'entreprises et en recueillir les retombées économiques. Là aussi, un texte de loi régissant le fonctionnement et les prérogatives des CRO, aujourd'hui aux oubliettes, est à publier au plus vite.
Une volonté politique clairement affichée de s'investir dans la recherche clinique ne peut enfin faire l'économie d'investir dans des structures et une organisation capables de gérer cette activité loin des lenteurs bureaucratiques que ce domaine particulier ne peut tolérer. Ceci n'implique pas forcément de grands investissements, mais de mettre en place les structures et les ressources humaines qu'il faut pour gérer convenablement les contacts avec les partenaires étrangers et les opérateurs tunisiens, les budgets y afférents, etc.
*(professeur à la faculté de Médecine, chef de service, président du comité médical et du comité d'éthique CHU Fattouma Bourguiba Monastir)


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