Elaborer une loi qui obligerait les entreprises à recruter. L'idée est séduisante. Elle l'est d'autant plus qu'elle ne peut pas objectivement être taxée de farfelue. La paternité en revient en effet à un grand économiste, fondateur, en 1957, avec Hédi Nouira, de la Banque centrale de Tunisie. De même inspiration sociale-libérale que l'idée de taxer, à l'échelle internationale, les transactions financières, l'on craint qu'elle ne se heurte, comme elle, au sacro-saint diktat du capital et du marché et au principe de la libre entreprise. Un marché mondial sans règle conduit à la victoire des marchés sur la loi. Ce que le prix Nobel d'économie, James Tobin, cherchait, à travers sa taxe, à combattre, s'est révélé d'une puissance inouïe, celle des multinationales qui, en fin de compte, sont les seuls maîtres de l'économie et de la finance internationales. De la même manière, dans un monde où capital et travail ne luttent pas à armes égales, obliger une entreprise, tenue qu'elle est par une obligation de compétitivité, à recruter, ne manquera pas de susciter quelques sérieuses levées de boucliers au sein de la sphère de l'investissement privé. Le parallèle entre les deux idées est saisissant. De fait, derrière la taxe Tobin se profilait la remise en cause d'un système économique dont la finalité était le profit, d'une mondialisation qui menaçait de marchandiser la moindre activité humaine, et qui, pour y parvenir, avait imposé depuis des décennies la liberté totale du capital et l'abolition de toutes les barrières du libre-échange. Ce qui laisse le champ libre à des firmes surpuissantes et la voie grande ouverte aux douloureux plans sociaux. Derrière l'idée d'obliger les entreprises à recruter ne se profile-t-il pas — et ce n'est qu'une simple hypothèse‑—une dénonciation du déséquilibre actuel entre les salaires et le profit ? Car, au fond, sans contrepartie, aucune loi ne saura durablement et efficacement contraindre un chef d'entreprise à recruter . A moins qu'elle ne viendrait subtilement à imposer plus le profit réalisé par une entreprise au bénéfice direct des salariés de la même entreprise. En clair, une telle loi n'aura de sens que si elle permettait un certain rééquilibrage entre la masse salariale de l'entreprise et le profit réalisé par elle. A cet effet, l'on peut envisager une augmentation des salaires qui, contrairement à ce que certains soutiennent, aura le mérite d'améliorer la productivité de l'entreprise et de stimuler la demande interne et, donc, la croissance et la création de nouveaux emplois. Il est de même possible d'envisager une modulation de l'impôt sur les sociétés en fonction de la répartition du profit entre salariés et actionnaires. Une sorte de récompense fiscale aux entreprises qui redistribueraient plus à leurs employés. Il est, en effet, temps de considérer comme étant un facteur aggravant du chômage, notamment des diplômés du supérieur, le faible niveau de rémunération pratiqué aujourd'hui par nos entreprises. Celles-ci se plaignent et souffrent de leur faible taux d'encadrement, mais elles ne font rien pour capter, motiver et intéresser les jeunes compétences. Il n'est de fait pas rare de voir un diplômé du supérieur, dont la compétence est avérée, préférer rester sans emploi en espérant des jours meilleurs plutôt que de devoir accepter et subir un salaire et un traitement qu'il juge dégradants. Ainsi, au cœur du problème du chômage se trouve aussi une certaine crise des rémunérations, un certain degré de pillage du travail par le capital. La taxe Tobin et l'idée de contraindre les entreprises à recruter se rejoignent, toutes proportions gardées, à ce niveau. Méritoires et courageuses, l'une et l'autre n'ont cependant d'intérêt que si elles sont des outils nous donnant le temps de repenser la relation capital-travail.