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Augustin, ou le Dieu intérieur
Figures et concepts
Publié dans La Presse de Tunisie le 25 - 11 - 2011

Il est né au-delà de la frontière qui nous sépare de l'Algérie. Mais à l'époque où il vit cette frontière n'existe pas : il s'agit d'un même territoire, la province romaine d'Afrique, qui s'étale loin vers l'ouest et dont la capitale est Carthage. C'est, d'ailleurs, dans cette ville de Carthage qu'il viendra achever ses études : il y découvrira, raconte-t-il dans ses Confessions, le vice propre à toutes les grandes villes. Mais enfin, c'est quand même à Carthage qu'il se forge ses premières armes intellectuelles, celles qui lui permettront par la suite d'aller mener une brillante carrière d'orateur à Rome et à Milan. C'est aussi à Carthage que, bien plus tard, après sa conversion à la religion chrétienne, son renoncement aux honneurs de la vie politique et son retour dans sa patrie numide, il viendra mener des combats théologiques décisifs contre certains hérétiques, comme les Donatistes qui menaçaient la région d'une scission à la fois politique et religieuse. Bref, saint Augustin, ce Père de l'Eglise comme disent les chrétiens catholiques qui continuent de lui vouer une grande vénération, s'il n'est pas tout à fait un enfant du pays, n'est pourtant pas non plus un étranger dans nos contrées. Disant cela, nous voulons rappeler bien sûr qu'il existe un passé chrétien de la Tunisie et, d'autre part, que ce passé n'est pas marginal dans l'histoire du christianisme, ne serait-ce qu'en raison de cette présence de saint Augustin... Mais aujourd'hui un tel rappel doit être entendu d'une façon différente de ce qu'il a pu être auparavant : non pas comme une manière de circonscrire l'Islam dans les limites historiques d'un passé relativement récent et lui faire souvenir, ce qui peut être certes utile parfois, de ce qu'il y a eu sur cette terre une vie religieuse digne de ce nom avant son arrivée, mais plutôt comme une façon de planter le décor d'une coexistence religieuse pacifique à travers les différentes époques de l'histoire du pays.
Plus intime à moi-même…
Saint Augustin donne une formulation philosophique de la foi chrétienne qui résiste au temps : il n'est que de considérer le nombre de travaux qui continuent d'être menés aux quatre coins du monde à son sujet pour s'en convaincre. Un de ses ouvrages les plus lus est Les Confessions : un texte autobiographique dans lequel on trouve cependant les intuitions les plus fortes sur le temps, sur la nature du mal et sur d'autres choses, parmi lesquelles cette idée que, selon sa formulation, Dieu est «plus intime à moi-même que moi-même». Un autre ouvrage important, parmi les nombreux que compte son œuvre prolifique, est La Cité de Dieu. On est ici en présence d'un texte tardif, qui correspond à la fois à la vieillesse d'Augustin et à la période de l'Empire romain où ce dernier est en train de céder sous les attaques répétées des invasions germaines. La rédaction de ce livre se situe en tout cas après le sac de Rome en 410 mais avant la chute de Carthage, conquise par les Vandales en 439, puisque lui-même meurt en 430...
Cité terrestre, cité de Dieu
Dès les premières incursions des tribus germaines et la découverte que la résistance de l'Empire n'est plus ce qu'elle était, une polémique s'était mise en place autour de l'idée selon laquelle le remplacement de l'ancienne religion païenne par le christianisme a été un facteur d'affaiblissement de l'Empire. C'est un fait indéniable que la culture de la Rome des origines vouait un culte particulier au dieu de la guerre, le dieu Mars : ce qui explique en grande partie la propension des Romains à enchaîner les combats et les batailles et, dans le même temps, à développer l'art de la guerre d'une façon telle que cela leur donnera l'avantage sur tous leurs voisins. Le christianisme est loin de tout cela : «Ceux qui prennent l'épée périront par l'épée», fait dire à Jésus l'Evangile de Matthieu. Une telle parole est prononcée au moment où la foule vient s'emparer de Jésus pour l'emmener se faire juger et, finalement, pour le crucifier. Un des compagnons avait alors tenté de prendre sa défense. Il avait tiré son épée et, d'un coup, avait tranché l'oreille d'un des assaillants. Mais Jésus s'y est opposé en prononçant la phrase en question et s'est contenté de se livrer, selon une conduite qui demeure déroutante. C'est un peu la même attitude que va d'ailleurs adopter Augustin face à l'avancée des hordes germaines : au lieu de contribuer à mobiliser la population en vue de résister à l'ennemi, en essayant au besoin de réveiller les anciennes divinités guerrières de Rome, il écrit cette Cité de Dieu : une cité invisible, en laquelle se retrouvent les élus et sur laquelle la violence n'a pas de prise. Une façon de rappeler alors à ses concitoyens que la chute de l'empire est celle d'une cité terrestre mais que celle à laquelle le juste est promis, la cité céleste, demeure quant à elle, et pour l'éternité. La première peut bien s'effondrer : cela n'empêche pas l'autre, non seulement de résister, mais au contraire de triompher...
La mort qui révèle
Toutefois, dans cette polémique qui se met en place concernant la solidité de l'Etat dont la religion est le christianisme, Augustin va mettre l'accent sur la vigueur nouvelle que confère à la société le fait que ses membres, grâce à cette religion, se trouvent libérés de tous les vices dont le paganisme ne les préservait pas. Le ciment que constitue pour eux leur appartenance commune à cette cité invisible qu'est la Cité de Dieu est l'envers du spectacle de cet empire qui s'effondre.
On raconte de Héraclite d'Ephèse, le fameux penseur présocratique, qu'un jour qu'on lui rendait visite dans sa demeure plus que dépouillée, il répondit ceci en guise d'invitation : «Ici aussi les dieux sont présents !» Cette dimension de l'intériorité dans l'expérience du divin se retrouve dans la pensée d'Augustin : elle est essentielle dans sa théologie. «Ne vas pas au dehors, cherche en toi-même», écrit-il dans un texte intitulé La vraie religion... Le «ciel» est en nous, au fond de nous, autrement dit. Et ce n'est pas une partie de lui : Dieu, comme disent certains théologiens, est tout entier dans chacune de ses parties. L'homme juste, de son côté, est celui qui, au-delà de ses actions particulières, fait retraite vers son intériorité pour y aller à la rencontre de Dieu, qui est à la fois l'absolument autre que lui et l'essence ultime de son moi : comble du paradoxe, mais paradoxe de l'amour !
Cette conception du Dieu intérieur apporte un éclairage sur la non violence du personnage de Jésus, qui interdit le recours à l'épée. Il ne s'agit pas seulement de coller aux prophéties de l'Ancien Testament qui ont décrit la venue du Messie et la violence dont il serait la victime. De sorte que les récits des Evangiles foisonnent de cette formule : «Il fallait que la prophétie s'accomplisse». Non, comme la cité terrestre livrée aux assaillants, et dont on peut dire qu'il faut qu'elle s'effondre pour que se révèle dans sa vérité celle qui lui survit, cette cité spirituelle qui était logée en son cœur, et qui désormais triomphe : la mort de Jésus sur la croix est ainsi, pour la théologie chrétienne du moins, quelque chose qui ne met pas un terme à la révélation, mais qui l'accomplit. Il l'accomplit parce que ce qui est au fond de Jésus, cette présence du divin comme dirait Héraclite, cet autre que Jésus qui est pourtant l'essence même de Jésus, préciserait Augustin, cela se révèle... plus fort que la mort !
Les "violences" de l'antiviolence
La non-violence est ainsi voulue par la logique de la révélation elle-même, en ce moment très particulier de l'histoire du monothéisme qui, on peut le souligner, n'est pas tous les moments. On se souvient que, dans ce moment inaugural qui précède de plusieurs siècles, le fondateur, Abraham, a bien pris dans ses mains, non pas une épée, mais un couteau, et qu'il s'apprêtait à en faire usage contre son propre fils : il s'agissait aussi de révélation ! Révélation de Dieu à travers l'obéissance de l'homme au prix de ce qu'il a de plus cher...
Mais le christianisme ne sera pas toujours fidèle lui-même à sa propre proscription de la violence. Cependant, à chaque fois qu'il rompra avec cette fidélité, il sombrera dans une violence excessive et s'attirera généralement des condamnations, aussi bien à l'intérieur de ses rangs que parmi les ennemis de l'Eglise. De sorte que va se constituer en terre chrétienne, au fil du temps, une sorte de religion de l'antiviolence où se mêlent croyants et agnostiques. C'est d'ailleurs ce qui explique que l'islam qui, lui, n'a pas reculé devant l'usage de l'épée, a fait l'objet d'un double procès en Occident : le premier par les fidèles chrétiens qui ont vu en lui une religion rivale dont le but est de couvrir le message du Christ par celui du Prophète, le second par les adeptes de l'antiviolence, pour qui cette religion musulmane est tout simplement l'exemple à ne pas suivre. Or, que l'islam produit un message qui est autre et qui, pour cette raison, ne couvre pas le précédent. Et ce message autre, s'il ne s'interdit pas la violence, s'interdit quand même tout abandon à la violence, tout usage qui ne serait pas tourné vers l'instauration de la paix de Dieu dans la cité terrestre... Etant entendu que l'islam est un monothéisme qui, précisément, réinvestit la « cité terrestre ». Toute la question est cependant de savoir ce que signifie la paix de Dieu et si elle peut se résumer à la mise en application de prescriptions figées qui, bien souvent, nient l'importance des autres religions, qu'elles soient au-delà de nos frontières ou situées dans notre propre passé.


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