Les journées cinématographiques de Jendouba, manifestation qui a eu lieu le week-end dernier, étaient une occasion pour Lassaâd Dkhili de présenter pour la première fois dans sa ville natale son documentaire . Il était une fois une épicerie. Cette ville du nord- ouest fut le décor naturel choisi par le cinéaste pour raconter les déboires d'une épicerie de quartier prise au piège de la rude concurrence des grandes distributions, de la crise économique et de la baisse du pouvoir d'achat. Dans son documentaire, Lassaâd Dkhili plante sa caméra dans une petite échoppe, une épicerie comme on en voit tous les jours, un espace de négoce, certes, mais aussi de liens sociaux, d'échanges et discussions. Il était une fois une épicerie est l'histoire d'une épicerie en Tunisie, et d'épiciers qui servent et se servent de tout, de la marchandise et ... de l'humain. C'est un jour de marché. Et comme tous les mercredis, le «souk» se met en place. La petite rue commerçante commence à s'animer. Parmi les boutiques qui connaissent une affluence notable, une petite épicerie. C'est Abid, le vendeur, qui arrive le premier et lève le rideau de fer. Les vieilles étagères, le comptoir et l'arrière-boutique attestent des longues années d'activité. Ce petit commerce reste avant tout un lieu de vie unique qui, d'échanges en échanges, a patiemment contribué à tisser de solides relations humaines. Les services que ce commerce de proximité rend à ses clients sont multiples : vente à crédit, service postal, service social, conseils et orientations en tous genres, aide psychologique à l'occasion. Cette épicerie, gagne-pain de trois familles, est un carrefour où se croisent et se conjuguent depuis vingt ans destins et vicissitudes de la vie au quotidien. Durant 52 minutes la caméra de Lassaâd Dkhili scrute les visages, les filme avec tendresse et s'arrête sur leurs paroles. Malgré la naïveté de leurs propos, les trois protagonistes de cette histoire « ordinaire » nous incitent à la réflexion. Quel serait le sort de ces commerces de proximité, de ces gens qui arrivent à peine à se payer un pain, qui n'ont pas les moyens de s'acheter une bouteille d'huile à 900 millimes, qui préfèrent acheter en vrac, c'est moins cher, qui mangent sur le pouce un sandwich de fortune et qui laissent une ardoise de moins de un dinar... Il était une fois une épicerie est un film qui ne s'attarde pas sur les clients et dresse le portrait des trois vendeurs, leur difficulté de joindre les deux bouts, la pression d'un quotidien pas toujours évident, le manque ressenti dans les denrées de première nécessité... Lassaâd Dkili quitte rarement la boutique, sa caméra ne s'arrête pas de tourner, toujours à l'affut d'un moment de sincérité, d'un regard tendre, d'une confidence. On devine dans le rapport qu'il y a entre lui et ses personnages une complicité, voire un rapport de confiance. Sa caméra devient par moments invisible, l'activité dans la boutique est des plus spontanées. La présence de l'équipe de tournage ne gêne nullement le déroulement de l'action et note, discrètement, les moindres détails. A travers cette petite histoire de trois personnages et une épicerie, ce documentaire arrive à nous faire passer tant d'émotion, de moments de vérité d'une activité économique en crise, face aux géants de la distribution. L'humanité d'un commerce de proximité face à l'anonymat des grandes surfaces. Un mode de vie face aux mutations de la mondialisation et l'arbitraire de la société de consommation. Il était une fois une épicerie de Lassaâd Dkhili, tourné en 2010 et qui a été rarement projeté sur nos écrans, est une approche généreuse et altruiste d'un cas de figure pas si isolé que ça.