Par Zouheir EL KADHI * Il n'est pas impossible que les prochains jours soient des plus difficiles du fait des négociations salariales. Gouvernement et centrale syndicale doivent trouver un terrain d'entente et une solution gagnant-gagnant. Le gouvernement justifie son désaccord pour une hausse des salaires par la situation difficile dans laquelle se trouve le pays. Une telle situation nécessite sans aucun doute des économies dans tous les domaines. Cependant, le gouvernement n'est pas en position de force pour réclamer des économies alors qu'il est composé de plus de 80 ministres et secrétaires d'Etat. De plus, les récentes réclamations de hausse de salaires de la part des membres de la Constituante ont affaibli le pouvoir de négociation du gouvernement. Par ailleurs, et avec la hausse continue de l'inflation, la pression en faveur de hausses de salaires s'accroît. Comment concilier ces deux objectifs opposés d'économies et de hausses de salaires ? Certains se plaisent à penser qu'une hausse des salaires stimulerait la consommation et la demande interne. Mais ne nous y trompons pas. Dans un contexte marqué du ralentissement de l'économie, ni l'Etat ni les entreprises ne disposent vraiment de trésor caché. De plus, donner la priorité au pouvoir d'achat impliquerait de renoncer à enrichir la croissance en emplois et le rythme de réduction du chômage n'en serait que plus lent. Aujourd'hui, une hausse des salaires ne produirait aucune stimulation sur la croissance tout simplement parce que ce qui sera distribué aux salariés devra être prélevé ailleurs. Si les entreprises n'en supportent pas intégralement la charge, l'Etat devra assurer le financement de cette mesure en réduisant ses dépenses, en augmentant les impôts ou en laissant filer un peu plus le déficit budgétaire. Penser que faire de la redistribution à travers les salaires permettra de relancer la consommation est une erreur économique de taille, surtout lorsqu'on importe une grande partie des biens consommés. Toute hausse du coût horaire risque d'exercer des effets destructeurs sur la demande d'emploi. La hausse des salaires aura un impact négatif sur l'emploi et serait un frein à l'embauche. Naturellement, et dans le cadre d'un marché en concurrence, toute hausse de salaire, en obligeant les employeurs à payer certains salariés au-delà de leur productivité marginale, priverait ces derniers de toute chance de trouver un emploi puisqu'il serait absurde pour un employeur de payer un salarié plus que ce qu'il ne rapporte. Résultat : la hausse des salaires crée forcément du chômage car, à chaque hausse, un certain nombre de travailleurs deviennent, ceteris paribus, inemployables au salaire en vigueur. Si l'augmentation des salaires n'est pas intégralement compensée par des aides publiques, le coût du travail sera alourdi et cela réduira l'emploi des personnes qui ont déjà le plus de mal à s'insérer sur le marché du travail. Or, dans une entreprise, les hausses de salaires exercent des effets majeurs sur la distribution des autres salaires et sur les coûts salariaux. Là encore, c'est un alourdissement du coût du travail qui hypothèque la lutte contre le chômage. Au total, augmenter le salaire n'est donc ni une bonne idée pour faire de la redistribution ni pour créer de l'emploi. Par ailleurs, l'état de notre marché du travail ne laisse pas présager une envolée des rémunérations. Le bon sens économique voudrait que les salariés soient rémunérés en fonction de leur productivité. Les entreprises n'ont pas pour objectif de faire du social mais ont pour fonction de créer de la richesse et donc de l'emploi tout en réalisant des bénéfices. La justice sociale relève du rôle de l'Etat et c'est à lui, s'il le juge opportun, de compenser de façon directe la différence entre le salaire minimum et le niveau de revenus considéré comme nécessaire pour vivre décemment. Si on veut opérer une redistribution des richesses, ce qui est parfois légitime, cela ne devrait pas se faire à travers les salaires. La fiscalité est l'instrument adéquat et elle a l'énorme avantage de ne pas interférer sur le coût du travail. Si l'Etat estime qu'il peut le permettre, c'est dans cette voie qu'il faudrait aller afin de ne pas affecter davantage le marché du travail. N'oublions pas que l'objectif affiché doit être la lutte contre le chômage. La progression des salaires ne peut se justifier que d'un point de vue du partage de la valeur ajoutée. Et de ce point de vue, un rééquilibrage en faveur des salariés semble souhaitable sans oublier que les profits sont aussi une source de financement de la croissance. Le rééquilibrage du partage entre capital et travail ne peut suffire à une amélioration durable des salaires. A long terme, seuls les gains de productivité peuvent permettre une élévation du niveau de vie et il est souhaitable que des mécanismes sociaux veillent à assurer une juste redistribution. La hausse des salaires affectera notre compétitivité. Il est de notre devoir aujourd'hui de créer les conditions pour que les entreprises puissent exporter davantage, augmenter leurs marges, investir, embaucher et in fine augmenter les salaires. Une augmentation immédiate des salaires renchérirait donc les coûts de production des entreprises et réduirait, par ricochet, la compétitivité du coût de nos entreprises. Il va donc sans dire qu'une augmentation des salaires n'est possible que si on est capable d'augmenter la productivité de notre économie. C'est une condition sine qua non. Mais ces dernières années, la progression de notre productivité a été par moment légèrement plus faible que celle des salaires réels et toute hausse de ces derniers pourrait amplifier le risque inflationniste. Aujourd'hui, et au-delà de la nécessité de retrouver une croissance plus soutenue, l'un des enjeux essentiels pour notre pays consiste à enrichir le contenu de la croissance en emploi. Contrairement aux revendications, une modération des salaires pour gagner en compétitivité pourrait être dans un premier temps une solution convenable.