Par notre envoyé spécial à Rabat Lassaad Ben Ahmed «La transition ne peut réussir si elle n'inclut pas une large majorité de la société», propos de M. Milan Kucan, ancien président de la Slovénie. «Le consensus est très difficile à atteindre et encore plus difficile à maintenir», affirme M. Petre Roman, ancien Premier ministre de la Roumanie. Ce sont les deux messages clés de la première journée d'un séminaire régional de la Banque mondiale sur le thème : «Transitions et réformes de la gouvernance dans la région Mena», qui se tient du 18 au 20 juin à Rabat, en présence de représentants de l'administration, de la société civile et des médias des pays de la région, dont la Tunisie. La Banque mondiale veut, par l'organisation de ce séminaire, deuxième du genre après celui de Beyrouth en 2011, marquer sa propre transition, dans la perception comme dans le traitement de la gouvernance. «L'engagement de la Banque mondiale s'est longtemps focalisée sur des choses classiques. Mais aujourd'hui, elle évoque des questions plus sensibles : la libre association et le libre accès à l'information», précise M. Simon Gray, directeur Maghreb de la Banque mondiale. Le responsable de la Banque mondiale, loin de se positionner en donneur de leçons pour les pays en transition, explique que «nous ne pouvons pas rentrer dans le domaine politique [ne pas tomber dans l'ingérence donc dans les affaires intérieures. ] (...), mais nous gardons toujours l'optique de la croissance économique et la répartition équitable des richesses». Transparence, redevabilité et développement inclusif, tels sont, par ailleurs, les thèmes suivant lesquels les travaux ont été déclinés, pour toucher à toutes les problématiques pouvant rencontrer les pays en transition, entre autres ceux ayant déjà réussi tels la Slovénie, la Roumanie et l'Indonésie, et ceux dont la transition était pacifique comme le Maroc qui a amendé sa Constitution pour inclure de nouveaux droits sociaux, politiques et environnementaux, et continue de moderniser ses institutions dans le cadre d'un nouveau projet sociétal pour une meilleure participation et une meilleure parité sociale et politique. Conditions indispensables Malheureusement, il n'y avait pas de représentants officiels de la Tunisie, ni du gouvernement ni de la Troïka, ni de partis politiques pour contribuer à un échange, fructueux du moins, autour de certaines conditions, jugées indispensables pour réussir la transition, le leadership, une vision claire et l'impératif de rassembler, éléments qui s'ajoutent, bien évidemment, au consensus, permettant à toute la société de contribuer à la construction. Et ce sont des éléments liés les uns aux autres, puisqu'il ne peut y avoir un leadership charismatique sans une vision claire et une capacité de rassembler et l'on ne peut avancer lorsqu'une vision claire et une volonté de rassembler s'estompent au niveau d'un gouvernement fragile, doublé de dislocations politiques chroniques... A ce niveau précis, l'expérience de la Roumanie a été fort appréciée par les participants au séminaire de la Banque mondiale, sachant qu'après la chute (en quelques heures) du régime de Ceausescu, il y a eu une grande désorganisation sociale et la situation économique était déjà chaotique... «Je n'étais pas politicien et je me suis retrouvé tout d'un coup Premier ministre», affirme M. Roman. «Mais la vision était claire dans le plan de réforme et la manière de protéger les intérêts était claire», ce qui a permis d'ouvrir de larges perspectives aux différentes attentes, diverses, complexes et parfois contradictoires, qu'il fallait absolument gérer. La clé de réussite était tout simplement liée à la transparence et la redevabilité : voici ce qu'on a et voici où on va le dépenser... Dans ce contexte, la presse était libre «Et il n'y avait pas besoin de loi pour garantir la liberté de la presse... Certains demandaient de promulguer une loi sur les médias, certains autres demandaient de ne pas le faire. Nous avons décidé de ne pas faire de loi sur la presse... ». En revanche, on a adopté une loi qui sanctionne sévèrement l'interdiction d'accès aux données relatives à la gestion des deniers publics. Il y a eu aussi des instances de régulation comme celle de l'audiovisuel. Ce genre d'instance est encore en projet en Tunisie. «Et le gouvernement de transition est encore réticent à créer ce genre d'instance», explique M. Ridha Kefi, membre de l'Inric, présent à cette manifestation. Qui dit consensus dit inclusion. L'inclusion des différentes composantes de la société, courants politiques, société civile, jeunes, femmes, mais aussi les régions. La contribution dans la construction crée le consensus et permet de trouver le «common ground» sur lequel tout le monde, ou du moins la grande majorité, peut être d'accord. En ce qui concerne l'inclusion des régions, l'expérience indonésienne menée à partir de 2001 a été couronnée de succès, grâce au déplacement de la responsabilité du centre vers la localité. Les régions prennent en charge la gestion des projets et des priorités avec obligation de rendre des comptes à l'opinion publique de proximité mais aussi à l'égard du pouvoir central. Cependant, ce système nécessite «la création d'une dynamique économique locale», cela suppose également le maintien d'un certain équilibre entre le pouvoir central et régional, car certains projets ne peuvent se concevoir et ne sont réalisables que par le pouvoir central, l'infrastructure par exemple.