L'ouverture du 9e congrès du mouvement Ennahdha représente un événement politique remarquable à plus d'un titre. Par le profil des invités présents, par la nature des allocutions présentées et par l'envergure régionale, voire internationale, que le Congrès a cherché à se donner. On en a eu un clair aperçu dès l'entrée dans la grande salle des figures officielles... Ces dernières ont été accueillies par l'écho sonore du slogan : «Le peuple veut la libération de la Palestine». Il est vrai que parmi les nombreux invités étrangers, figurait le président du bureau politique du mouvement palestinien Hamas, M. Khaled Mechaâl, dont le passage à la tribune sera d'ailleurs un moment fort de la séance d'ouverture... Mais un représentant du mouvement Fath, Abbas Zaki, était également là et prendra le micro à son tour. On assistera même à une accolade entre les deux hommes après leur prise de parole... Pourtant, le début des travaux avait été marqué par la récitation du Coran et l'assistance se demandait si quelque chose pouvait bien venir perturber un tel moment solennel: ce fut fait, et la récitation reprendra après que les officiels prirent place... Réponses aux attaques Sur le plan interne, on notera bien sûr la présence de Mustapha Ben Jaafar qui, comme il le précisera lui-même, portait en cette occasion deux «chéchias», celle du président de l'Assemblée constituante et celle de président d'Ettakatol. Le Congrès pour la République était représenté, mais de façon sans doute moins affirmée, puisque par une personnalité relativement moins connue : Hédi Ben Abbès, secrétaire d'Etat chargé de l'Amérique et de l'Asie aux Affaires étrangères. Mais des figures anciennes avaient aussi fait le déplacement : Ahmed Mestiri et Ahmed Ben Salah ! Les organisations professionnelles étaient représentées par Samir Chiffi, de l'Ugtt, et Wided Bouchamaoui, de l'Utica. Au niveau du mouvement d'Ennahdha lui-même, on notera le retour «vibrant» de Abdelfattah Mourou, qui parlera au nom des anciens du mouvement sur un ton de réconciliation... Réconciliation en particulier avec le président du mouvement, Rached Ghannouchi, dont il dira que les divergences qui les ont opposés dans le passé n'ont jamais généré entre eux de propos acerbes. Rappel aussi du nouveau style de gouvernement auquel tout pouvoir doit désormais se soumettre et qui consiste à servir les peuples et à rendre la justice parmi les gens... Et, en définitive, à œuvrer en vue d'un projet de civilisation... Le congrès se voulait donc d'envergure internationale vers l'extérieur et fédérateur à l'intérieur. Après l'entrée en matière coranique, l'organisation a salué les martyrs de la révolution avant d'égrener la liste des pays dont des partis étaient présents pour l'occasion : Palestine, Soudan, Maroc, Algérie, Egypte, Turquie... D'autres étaient salués, comme la Syrie, à laquelle on a souhaité la victoire de son peuple... Côté occidental, des invités étaient là qui représentaient le Parlement européen, la France, les «Etats-Unis et le Canada»... Puis, et toujours selon un enchaînement où peu était laissé au hasard, on a demandé à l'assistance de se lever pour entonner l'hymne national, qui devait marquer la fin des préliminaires. Après quoi, c'est Rached Ghannouchi qui a pris la parole : «Ce congrès du mouvement est le 9e, commencera-t-il par dire, mais où sont les 8 autres, diriez-vous ?» Occasion pour rappeler le passé de clandestinité et de lutte du mouvement... Occasion pour rappeler le lien avec d'autres mouvances comme les «yousséfistes, les syndicalistes, les humanistes et toutes les familles»... L'hommage du président du mouvement est rendu aussi à la femme, en tant que compagne dans la résistance... A la révolution, grâce à laquelle ce congrès, dans sa forme, est rendu possible... L'hommage prend d'ailleurs une tonalité sacrée qui n'a pas manqué de surprendre : «La trahison de la révolution est trahison de Dieu et de son Prophète !» Des affirmations qui sont loin d'être tout à fait innocentes dans le contexte de la scène politique actuelle, et dont certaines peuvent être comprises comme des réponses à des attaques... «L'exil est une forme de résistance, par la séparation des familles et par l'épreuve dans les corps mêmes...» En d'autres termes, l'exil n'est pas désertion, mais une forme différente de lutte. Le «rameau de l'alliance» Le discours du président d'Ennahdha abordera ensuite un autre thème, d'ordre plus stratégique : «Ce pays ne saurait, dit-il, être gouverné que dans le consensus national... Dans l'attachement au principe qui consiste à lever l'injustice pesant sur la vie des gens... Le modèle que représente le pays du point de vue de la révolution doit le devenir du point de vue du développement». Et Ghannouchi d'évoquer ici, comme horizon de cette expérience, l'unité maghrébine, puis arabe, puis humaine ou universelle en rappelant que l'Islam est religion de miséricorde entre les hommes. Concernant les difficultés que traverse le pays actuellement, il considère qu'elles sont «circonstancielles et normales». Enfin, on notera la conclusion : des félicitations aux Libyens pour leurs élections, l'attente d'une victoire des forces révolutionnaires en Syrie et un hommage à la Palestine, comme lieu des «étincelles». Succédant à Ghannouchi à la tribune, Hamadi Jebali, chef du gouvernement et secrétaire général du mouvement, a développé un discours qui ne manquait pas d'agressivité contre ceux qu'il appelle les «contre-révolutionnaires» et qui, selon lui, «cherchent à se rassembler et à rétablir l'ordre que la révolution est venue renverser». Dans cette optique, il réaffirme le choix stratégique de l'alliance de la Troïka — une «expérience à développer». M. Jebali parle également d'accélération de la justice transitionnelle, d'amélioration des services rendus à la population en matière de transport, de santé ou d'enseignement... Enfin, il a formé le voeu que le parti sorte du congrès dans une plus grande cohésion. L'allocution de Mustapha Ben Jaâfar, qui a suivi, devait marquer l'accent citoyen et moderniste qu'incarne le partenaire d'Ennahdha qu'est le parti dont il assure les destinées. Il reprend le slogan du congrès «L'avenir est entre nos mains» et le complète ainsi «... pour une société de la citoyenneté». Le président de l'ANC aura cette phrase remarquée à l'adresse de Ghannouchi : «Il incarne l'esprit du consensus». L'alliance est donc réaffirmée, ancrée dans l'accord conclu un certain 18 octobre 2005 : rapport en vertu duquel la liberté religieuse serait défendue, mais aussi les principes républicains de gouvernement du pays en dehors de la référence au sacré... Même son de cloche au sujet de l'attachement à l'alliance tripartite de la part de Hédi Ben Abbès, du CPR, qui affirme que l'expérience du partenariat avec le parti d'Ennahdha révèle que l'ère des idéologies rigides appartient au passé. Que les obligations qui doivent accompagner les droits dictent de servir le pays... Et que «le rameau de l'alliance ne tombera pas de nos mains !» Le représentant du CPR bouclera son propos en invitant les congressistes à assister au congrès de son parti, prévu le 25 août prochain. Les surprises de Mechaâl La suite de cette matinée d'ouverture a été l'occasion d'une succession d'interventions présentées en grande partie par les invités étrangers. Elles rappellent dans l'ensemble le rôle de la Tunisie dans la naissance du Printemps arabe et les retombées qu'on en attend pour l'avenir en termes d'action commune à différents niveaux. Mais l'intervention de Khaled Mechaâl, du mouvement Hamas, a été, nous le disions, un moment fort. D'abord, parce que l'orateur est de ceux qui ont un talent évident. Ensuite, parce que sa seule présence est un événement politico-diplomatique qui a des incidences, qui pose problème pour les invités occidentaux... Et enfin parce que ses propos ont surpris. Ils ont surpris quand il a insisté sur le fait qu'il était l'invité de la Tunisie — avec ses diverses composantes — avant d'être l'invité d'Ennahdha ; a surpris quand il s'est adressé aux partenaires de la Troïka en les enjoignant de poursuivre leur alliance ; a surpris quand il s'est adressé à Ghannouchi et Mourou en leur demandant d'avancer main dans la main... Une «intrusion» en quelque sorte dans les affaires tunisiennes qui avait sans doute valeur de profession de foi quant à l'échiquier palestinien lui-même. La prise de parole de l'orateur du Hamas, comme celle d'ailleurs du mouvement Fath, a pris la tournure d'un avant-goût de la lutte électorale qui se profile à Gaza et en Cisjordanie... Et cela a continué, à travers un appel adressé aux Tunisiens afin qu'ils gouvernent en impliquant les vaincus aux élections, qu'ils dépassent la logique nationaliste et s'inscrivent dans un projet arabe... Mais Khaled Mechaâl a surpris encore par le ton virulent qu'il a gardé contre Israël, contre des négociations qui n'ont mené à rien, contre la nécessité de la force en vue d'obtenir des résultats... Mais, dira-t-il, ce n'est pas avec des peuples sous le joug de dictatures que des victoires sont remportées.