Par Khaled TEBOURBI Une semaine à saper le moral! Déceptions, tensions, appréhensions surtout : les pouvoirs titubent et, à l'Assemblée constituante, les esprits s'échauffent autour de questions cruciales, fondamentales, sur lesquelles on pensait qu'il y avait accord. Serait-ce l'effet de la canicule? Nos élus ne s'entendent même plus sur des principes et des objectifs supposés communs, évidents. Sur les libertés, sur l'indépendance de la magistrature et des médias, sur l'instance électorale, voire, si l'on juge bien de l'attitude et des propos de certains, sur le modèle de société et le caractère séculier de l'Etat. On en revient, bref, à «la fracture» des débuts. Derrière un discours brusquement redevenu «flottant», les représentants d'Ennahdha et ce qui reste de leurs alliés se remettent à «susurrer» des interdits de tout genre, politiques, religieux, moraux. Le gouvernement, pour sa part, use et abuse de prérogatives qui ne lui reviennent pas nécessairement. C'est un gouvernement de simple transition, mais qui se conduit comme s'il avait mandat pour toujours. Il nomme, il désigne, il amorce des «réformes de fond», ses trois «présidents» et ses dizaines de ministres «défilent» même sur les chaînes et les antennes publiques, si ce n'est, encore, sur des radios et télévisions privées, acteurs «privilégiés» qui s'offrent une campagne «gratis» en vue des prochaines élections. Pendant ce temps, l'opposition conteste, la société civile critique, la presse s'offusque, l'opinion «remue». Contre l'islamisme et l'autoritarisme qui «repointent du nez». Démocrates, républicains, militants et activistes des droits s'élèvent et dénoncent sans fléchir, exactement, ou presque, comme au lendemain du 23 octobre 2011. Rien n'y fait pour autant. L'idéologie divise les Tunisiens. Le consensus, l'unité, la modération et le choix du «juste milieu» ce n'étaient que des mots. On vote «sec», désormais, au Palais du Bardo. On a une majorité, on décide. Fût-ce aux risques des libertés, de la justice, de l'égalité, fût-ce à rebours des aspirations d'un peuple et de sa révolution, fût-ce aux dépens de l'avenir d'un pays. Malléables à souhait Une semaine à saper le moral, mais l'été festivalier se poursuit. Deux mondes à part encore, le monde trouble de la politique et le monde insouciant, on allait dire indifférent, du spectacle et des loisirs. Les festivals 2012 ne remplissent pas forcément les théâtres. On y accourt néanmoins et visiblement avec les mêmes penchants et les mêmes goûts qu'à l'accoutumée. Kadhem Essaher et Rami Ayache ont allumé des foules. Et ce sera probablement encore le cas de tous les chanteurs libanais ou égyptiens qui les suivront. Les artistes tunisiens n'attirent toujours pas grand monde en revanche. Ce n'est pas faute de talent. A preuve, le succès et la popularité constante des Bouchnâq, Sabeur Rebaï, Ziad Gharsa et Amina Fakhet. Si ceux-là y parviennent c'est que la chanson tunisienne est foncièrement (traditionnellement) apte à produire des réussites similaires. Ce qu'il y a c'est que, depuis de longues années, cette chanson a inexplicablement perdu le support de ses médias, de ses producteurs et de ses promoteurs (l'Etat tout particulièrement) et en droite conséquence, de ses publics. Les publics arabes demeurent, hélas, «matière» malléable à souhait. Les publics tunisiens davantage. Quand on dit que ceux-ci accourent aux festivals 2012 avec les mêmes penchants et les mêmes goûts qu'à l'accoutumée, c'est pour souligner que ces publics (révolution ou pas) restent conditionnés par les mêmes courants musicaux et les mêmes modes chansonnières qui dominent le marché continental voilà déjà près de trois décennies. Pas un hasard Le répéterons-nous? Il n'y a pas un problème d'art dans la chanson et la musique tunisiennes, le problème qui mine tout est celui du public des arts. Si réforme de fond il doit y avoir dans les prochaines politiques culturelles, c'est bien à ce niveau qu'elle aura le plus à s'opérer. On ne fait pas progresser les arts en formant seulement des artistes, on doit aussi réfléchir à leur créer les publics qui leur serviront de répondant et de stimulant. Cela se passe dans les écoles et les lycées, dans l'environnement familial et social à travers la radio et la télé, sur la base d'une pédagogie de sensibilisation et d'écoute équilibrée et réfléchie. Dans les années 1960-70 et jusqu'à la mi-80, cette adéquation «création-réception» était un des principaux soucis des responsables de la culture. Plus personne n'y songe aujourd'hui. Ce n'est pas un hasard si nos publics accourent vers les festivals «formatés» d'avance, s'ils ne distinguent pas, par eux-mêmes, entre la bonne et la moins bonne musique, les meilleures et les pires voix. Le passif culturel et artistique accumulé expliquerait même qu'ils se ruent ainsi sur les spectacles et les loisirs en étant presque indifférents aux affaires de la cité.