Par Belgacem SABRI* La consultation organisée par l'Assemble nationale constituante les 14-15 du mois courant a offert une opportunité pour la société civile de faire entendre sa voix sur le projet de la nouvelle Constitution préparé en commissions. Le président de l'ANC, Dr Ben Jaâfar, a confirmé à l'ouverture de la consultation l'importance accordée à la société civile dans la rédaction de la Constitution de la deuxième République et a indiqué que le débat sera étendu aux régions. Dans l'ensemble, les débats étaient riches et parfois passionnés et les rapporteurs des diverses commissions étaient souvent attentifs aux commentaires et critiques émis. La participation de 300 associations représentant divers centres d'intérêt et sensibilités et quelques régions éloignées du pays illustre l'enthousiasme de la société civile à contribuer au processus historique de l'élaboration de la nouvelle Constitution. Malgré le temps limité (trois minutes en moyenne par intervenant) et la technicité de certains thèmes, les associations ont pu faire entendre leurs avis et commentaires sur le brouillon de la Constitution et ont pu constater l'importance du travail abattu par les commissions de l'ANC. Compte tenu des séquelles de la dictature et l'apprentissage de la transition démocratique, le débat sur les droits et libertés a été particulièrement passionné. En effet, tous les intervenants ont souligné l'importance de constitutionnaliser les droits et libertés dont les Tunisiens ont été privés pendant des décennies surtout en matière de droits humains, de liberté de la presse et de création et des droits économiques et sociaux. Un intérêt particulier a été accordé aux droits de l'enfant, de la santé et la protection de l'environnement, au droit des enfants malentendants et au droit à l'eau .Des expériences de pays similaires et de pays qui ont mis fin à la dictature ont été souvent évoquées. Toutefois il a été souvent rappelé que la constitutionnalisation des droits et libertés n'est pas suffisante en mettant en relief les multiples violations de la Constitution de 1959 dans le domaine des libertés et des droits. Les garde-fous qui permettent de mieux suivre la mise en œuvre des droits et libertés et d'engager des processus de recours en cas de violation ont été recommandés en faisant souvent référence aux conventions internationales ratifiées par la Tunisie. Ces dernières prévoient des mécanismes de monitorage de la réalisation des droits et libertés constitutionnels. A cet effet, il a été suggéré de constitutionnaliser des instances de suivi du droit à l'égalité des sexes et à la parité, du droit des enfants, du droit à la santé et à la protection de l'environnement entre autres, en plus de celles prévues dans le brouillon de la Constitution. Eu égard aux aspects financiers de ces organismes de recours souvent évoqués par les constituants, il a été clarifié que les mécanismes de suivi n'impliquent pas nécessairement la mise en place d'administration coûteuse. En effet il pourrait s'agir d'observatoires nationaux et régionaux reposant sur le volontariat et bénéficiant du support de la société civile, du mécénat avec l'appui moral des organismes des nations unies. Une association au nom de Adam prônant l'égalité entre les races et dénonçant la ségrégation contre les noirs en Tunisie a permis de sensibiliser l'auditoire sur un sujet souvent occulté et considéré comme tabou. Le déroulement de la consultation a aussi mis en relief quelques points de faiblesse relatifs à l'attitude des participants et des constituants et à la gestion des débats d'une manière générale. En effet certaines associations ont intervenu surtout pour apporter un soutien au parti majoritaire sur des sujets litigieux comme l'article 28, la criminalisation du sacré, la suppression de la peine de mort, le conseil islamique supérieur, les Awkafs (biens habous), etc. sans aborder des thématiques en rapport avec leurs objectifs. Des observateurs n'ont pas manqué de faire un parallélisme avec l'instrumentalisation par le RCD et l'ancienne dictature des associations de la société civile, souvent encouragées et créées par l'Etat-parti. A cause des contraintes de temps, il n'a pas été possible d'engager convenablement avec les membres des commissions de l'ANC sur des sujets importants évoqués par les représentants de la société civile. Certaines associations ont exprimé les craintes de ne pas donner de suivi aux propositions d'amendement et de limiter la consultation à une simple audition sans lendemain réduisant ainsi la portée du processus participatif. Il est souhaitable de continuer l'interaction entre la société civile et les diverses commissions de l'ANC au niveau central et dans les régions afin de mieux affiner le projet de la Constitution .Eu égard au nombre important d'associations, celles-ci pourraient être entendues par thème tout en envoyant la documentation nécessaire aux commissions concernées. Les associations doivent aussi impliquer leurs sections régionales dans les consultations qui sont prévues par l'ANC. La société civile active et engagée doit apporter sa contribution dans ce chantier de rédaction de la nouvelle Constitution afin que celle-ci puisse refléter les vues de tous les Tunisiens sans exclusive. *(Médecin et président de l'Association tunisienne de défense du droit à la santé)